Politique Internationale — À partir de quand Volkswagen s’est-il lancé à l’assaut du marché du véhicule électrique ? Le groupe est-il parti suffisamment tôt dans la course ou bien, au contraire, a-t-il pris du retard par rapport à ses grands concurrents ?
Thomas Ulbrich — L’automobile en général et l’industrie automobile en particulier vivent aujourd’hui un processus de transformation sans précédent. Le mot de révolution n’est pas trop fort : non seulement Volkswagen est parfaitement conscient de cette mutation, mais le groupe s’est mis en ordre de bataille pour y faire face. C’est une bonne chose de parler de la concurrence. En l’occurrence, la situation est assez simple : depuis 2016, Volkswagen est l’industriel qui a consenti le plus d’efforts dans le domaine de la voiture électrique. Cette offensive sans précédent est amenée à perdurer : au cours des cinq prochaines années, le groupe va investir plus de 33 milliards d’euros dans cette filière de l’électromobilité. Celle-ci incarne l’avenir, voilà pourquoi nous avançons.
P. I. — Plusieurs milliards d’euros sont donc sur la table, mais comment sera réparti cet effort ?
T. U. — La production en série de notre modèle ID.3 a démarré depuis plusieurs mois dans notre usine de Zwickau (NDLR : à 300 kilomètres au sud de Berlin). Ce lancement n’est pas passé inaperçu puisqu’il a eu lieu en présence de la chancelière Angela Merkel et du PDG de Volkswagen, Herbert Diess. À l’horizon de 2020, nos développements stratégiques sont majeurs : nous prévoyons de mettre sur le marché pas moins de 75 modèles tout électrique et 60 véhicules hybrides. C’est donc une formidable décennie qui s’annonce : sur la période, nous prévoyons de vendre 26 millions de voitures électriques. Forts de ces ambitions, nous pouvons affirmer, sans aucune prétention, que Volkswagen va aider la mobilité électrique à faire une percée décisive. C’est une bataille technologique qui se joue, avec son lot d’innovations, et Volkswagen y prend toute sa part.
P. I. — Vous insistez beaucoup sur cette gamme ID. S’agit-il vraiment d’une rupture technologique ?
T. U. — D’un point de vue écologique, la gamme ID est tout simplement exemplaire. Quand un consommateur sélectionne ce type de véhicule, il n’opte pas seulement pour un moyen de transport électrique. Il s’inscrit également dans une démarche de lutte contre le réchauffement climatique. Et cette logique va bien au-delà de l’argument marketing : elle reflète le processus de fabrication de notre gamme, dont tous les éléments successifs sont tendus vers la neutralité carbone. Zwickau se distingue par un mode de consommation énergétique très économe, basé sur des sources renouvelables. Globalement, l’usine permet une diminution de 40 000 tonnes de CO2 par an. Volkswagen n’est pas le seul acteur mobilisé par ce dispositif : tous les fournisseurs du groupe qui sont associés à la gamme ID travaillent eux aussi sur une meilleure empreinte écologique. Nous avons le souci d’un véhicule qui, d’un bout à l’autre de sa durée de vie, réponde à un objectif de développement durable, depuis sa conception jusqu’au recyclage des matériaux utilisés. La batterie en est un bon exemple : tout au long du cycle de cet équipement, l’empreinte CO2 doit pouvoir être optimisée.
P. I. — Chez Volkswagen, qui a impulsé ce virage stratégique ? Est-ce l’état-major du groupe directement ? Avez-vous mis en place une branche dédiée qui fixe les développements de la mobilité électrique ? Ou avez-vous fait appel à des consultants extérieurs pour définir une feuille de route ?
T. U. — Refaisons un peu d’histoire. La COP21, qui a débouché sur l’accord de Paris en 2015, est un moment fondateur pour un groupe comme le nôtre. La décision qui a été prise par les États signataires d’atteindre la neutralité carbone en 2050 est un objectif auquel nous souscrivons pleinement. De cet accord découlent une série d’initiatives et de réalisations opérationnelles visant à réduire significativement les émissions de CO2 sur la planète. Les constructeurs automobiles sont associés à ce mouvement : chez Volkswagen, nous considérons que la mobilité électrique est le moyen le plus efficace pour franchir ce cap de la neutralité carbone. Voilà pourquoi nous avons intensifié nos efforts à partir de 2016 : le véhicule électrique n’est pas simplement un produit que nous proposons au consommateur à travers le monde ; il s’inscrit dans le cadre d’une réflexion stratégique qui s’exerce à tous les niveaux de l’entreprise. L’ensemble des branches sont associées parce que la transition écologique et les développements industriels associés sont des problématiques de grande ampleur. Non seulement le groupe ne subit pas cette transformation au service de la protection de l’environnement mais il entend bien la conduire.
P. I. — Compte tenu des incertitudes liées à l’apparition d’un nouveau marché, êtes-vous en mesure de fixer des objectifs chiffrés ?
T. U. — Nous raisonnons à partir de chiffres précis, avec l’objectif, je l’ai dit, de vendre 26 millions de véhicules électriques d’ici à 2029. Ces volumes recouvrent à la fois les modèles tout électrique et les modèles hybrides. Pour respecter cette feuille de route, qui est très ambitieuse, la maîtrise du plan de charge de nos usines doit être parfaite. Environ 80 % des véhicules électriques que nous commercialiserons au cours des dix prochaines années relèveront de notre entité Modular Electric Drive Matrix (MEB), en charge de l’agencement des territoires : les unités seront fabriquées aussi bien en Allemagne que dans le reste du monde. Dans le premier cas, Volkswagen s’appuie sur cinq usines, à Zwickau, Emden, Hanovre, Zuffenhausen et Dresde. Dans le second cas, nos implantations à Mlada Boleslav (République tchèque), Chattanooga (États-Unis), Anting et Foshan — toutes deux en Chine — sont en première ligne.
P. I. — Concernant votre outil industriel, dans quelle mesure le développement de la mobilité électrique vous oblige-t-il à reconfigurer vos usines ?
T. U. — On ne le répétera jamais assez, notre accélération dans le véhicule électrique est un facteur de transformation profonde. Mais avant même de parler des infrastructures et de leurs réaménagements, c’est le renouvellement des compétences qui doit être mis en avant. La mobilité électrique fait émerger de nouveaux besoins : des domaines comme le software et la digitalisation prennent une importance fondamentale et réclament des profils en adéquation avec cette évolution technologique. Les gens doivent être formés pour cela. Voilà pourquoi j’insiste tellement sur le fait que la voiture électrique irrigue toutes les strates de l’entreprise, à travers la composition d’équipes spécifiques. S’agissant de l’outil industriel, l’organisation de la production possède ses propres caractéristiques : par rapport à la fabrication de véhicules traditionnels, celle des voitures électriques est plus rapide car la charge de travail liée au bloc moteur est moindre. En effet, le procédé de la combustion des énergies fossiles est plus complexe que le système électrique. Celui-ci n’a pas besoin d’autant d’étapes que celles requises par l’assemblage du moteur thermique. Pour vous donner une idée, la production électrique à Zwickau est réajustée d’environ 10 % par rapport à la production des autres véhicules : nous passons de 1 350 à 1 500 véhicules par jour environ.
P. I. — Jusqu’à quel point Volkswagen envisage-t-il l’électrique comme levier de croissance ?
T. U. — Nous sommes absolument convaincus d’une chose : le futur est électrique. Sous la marque Volkswagen, nous prévoyons de vendre plus d’un million de véhicules électriques par an à partir de 2025 et devenir ainsi le leader mondial du marché. Cette conviction est d’autant plus ancrée que nous savons qu’il n’y a pas meilleur moyen pour atteindre les objectifs de la COP21. Ce développement à grande échelle sous-tend l’idée que tous les consommateurs puissent avoir accès au véhicule électrique : la mission de Volkswagen consiste donc à fabriquer des véhicules attractifs et à les commercialiser à des prix abordables. Il n’est pas question de réserver ce segment à une petite catégorie d’automobilistes fortunés. Voilà pourquoi Volkswagen a décidé de mettre les moyens dans le véhicule électrique, avec une double stratégie, industrielle et commerciale, marquée au sceau de l’ambition. La plateforme technologique Modular Electric Drive Matrix (MEB) a été spécialement conçue au service de la mobilité électrique. Elle a pour vocation de fédérer l’ensemble des outils et des compétences du tout électrique.
P. I. — D’un pays à l’autre, l’intérêt pour le véhicule électrique est plus ou moins fort. Face à ces disparités, votre plateforme dédiée à la mobilité électrique fonctionne-t-elle de manière globale ou avez-vous prévu des déclinaisons particulières selon les régions du monde ?
T. U. — Notre plateforme MEB embrasse notre vision de la mobilité électrique dans sa totalité. À preuve, elle ne traite pas seulement des véhicules de la marque Volkswagen. Certes, au sein du groupe, celle-ci a été la première à soutenir l’effort en faveur de la voiture électrique, mais aucune de nos autres marques ne reste à l’écart. Au contraire, que ce soit Audi, Seat ou Skoda, chacune sera en mesure de participer activement à notre engagement. Au total, toutes marques confondues, la première vague de production de notre plateforme table sur environ 20 millions de véhicules au cours des prochaines années. Ces gros volumes vont nous permettre de réaliser des économies d’échelle importantes, indispensables pour proposer une offre commerciale attractive. Les usines rattachées à la MEB sont au nombre de huit, réparties à travers le monde et implantées plus spécifiquement en Europe, en Chine et en Amérique du Nord. Ces infrastructures vont s’imposer comme des références. À Zwickau en particulier, Volkswagen transforme le site pour en faire la plus grosse usine électrique européenne. À moyen terme, 330 000 voitures devraient sortir chaque année des ateliers de fabrication. Ces nouvelles lignes de production tiennent compte des équipements déjà existants. À Emden et à Hanovre, qui sont deux autres usines électriques importantes, les installations sont situées à proximité des ateliers de véhicules traditionnels, de manière à nous permettre de mutualiser un certain nombre de services.
P. I. — Parlons du pouvoir d’attraction des véhicules électriques sur les consommateurs. Ceux-ci sont-ils sensibles à l’argument écologique ou leur choix de la mobilité électrique repose-t-il sur les mêmes critères que pour les autres véhicules ?
T. U. — Les chiffres valent mieux que tous les longs discours. La demande pour les véhicules électriques croît de manière très rapide, à tel point que le carnet de commandes pour la e-Golf est déjà complètement rempli. Parallèlement, les perspectives pour le nouveau modèle électrique ID.3 sont très encourageantes : dès le début, pas moins de 35 000 précommandes ont été enregistrées. Le signal envoyé par les consommateurs est très clair : il témoigne d’un intérêt marqué pour la mobilité électrique. Et nous n’en sommes qu’au début : au fur et à mesure que notre plateforme MEB va monter en puissance, les gens vont confirmer cet engouement.
P. I. — Quel discours tenez-vous aux automobilistes pour les convaincre de passer à l’électrique ?
T. U. — Nous leurs disons beaucoup de choses ! Nous leur expliquons d’abord qu’ils vont pouvoir disposer d’une très bonne voiture à un prix accessible. Rappelons au passage qu’un véhicule ID.3 d’entrée de gamme coûte moins de 30 000 euros. Cet avantage tarifaire ne s’arrête pas là : une voiture électrique est beaucoup moins onéreuse au quotidien qu’une voiture traditionnelle. Entre recharger à l’électricité et faire le plein, il n’y a pas de comparaison possible. Ensuite, la maintenance coûte beaucoup moins cher. Tout cela, le consommateur ne le sait pas forcément. Il faut aussi tordre le cou à des idées reçues, au sujet notamment de l’autonomie des véhicules électriques. Avec l’ID.3, on oscille entre 330 et 550 kilomètres. C’est bien suffisant pour les besoins des automobilistes. Enfin, nous insistons auprès des gens sur le confort de conduite que procure la mobilité électrique : les intérieurs des véhicules sont spacieux, le pilotage dynamique et le taux de connectivité des équipements élevé. Autant d’atouts qui encouragent à sauter le pas.
P. I. — Certaines voix s’élèvent pour pointer les dangers d’une mobilité électrique trop développée. En clair, cela tirerait trop sur les réseaux…
T. U. — Cet argument n’est pas nouveau mais il ne correspond pas à la réalité. De la même manière que le secteur automobile se transforme, le paysage énergétique est en pleine mutation. L’avenir n’est plus aux lourdes infrastructures de production. Les circuits d’approvisionnement sont beaucoup plus décarbonés, avec l’essor des énergies vertes ; ils sont aussi plus décentralisés, avec des installations plus souples ; et ils sont enfin plus digitalisés, au service d’une maîtrise de la consommation plus efficace. Cette série d’évolutions fait que le marché de la mobilité électrique ne menace pas la gestion des flux d’énergie.
P. I. — Les dirigeants de Volkswagen roulent-ils en voiture électrique ?
T. U. — Pour ma part, je roule en e-Golf depuis plus d’un an. C’est une expérience très plaisante, au gré de la trentaine de kilomètres que j’effectue quotidiennement.
P. I. — La mobilité 100 % électrique, vous y croyez ?
T. U. — D’abord et avant tout, notre développement dans la mobilité électrique témoigne de notre pleine contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. Un groupe comme le nôtre se sent engagé dans le débat environnemental et la recherche de solutions pour protéger la planète. Oui, on peut envisager qu’un jour la mobilité soit 100 % électrique : ce n’est pas une piste, c’est une nécessité si l’on veut limiter les émissions de CO2. En attendant, nous devons redoubler d’efforts pour faire du véhicule électrique une solution incontournable.