Les Grands de ce monde s'expriment dans

Les promesses de l’hydrogène

Politique Internationale — L’hydrogène, beaucoup en parlent mais peu savent réellement de quoi il retourne. Comment résumer en quelques mots cette industrie ? Quelles sont ses principales applications ?  

Laurent Carme — L’hydrogène est d’abord un élément chimique essentiel. C’est l’élément le plus présent dans l’univers, mais plus rarement sous forme pure. L’hydrogène est déjà utilisé dans de nombreuses applications industrielles. Via les réactions chimiques, cet agent sert dans les raffineries et/ou les sites pétrochimiques : il permet notamment de produire de l’ammoniac — qui entre dans la composition des engrais — ou encore du méthanol — utilisé à son tour dans l’industrie chimique pour produire des carburants, des plastiques ou des peintures. Pour vous donner un ordre de grandeur, on consomme environ 115 millions de tonnes d’hydrogène par an dans le monde, dont 70 millions de tonnes sous forme « pure », le reste étant mélangé à d’autres gaz. 

En marge de ces applications dans l’industrie ont émergé de nouveaux usages qui font de l’hydrogène une source de stockage et de valorisation d’énergie. Avec pour cible la mobilité légère, via les prolongateurs d’autonomie hydrogène intégrés aux véhicules électriques, mais aussi la mobilité lourde, avec des piles à combustible pour les bus, les camions ou les trains. Dans ce cadre, l’hydrogène permet de produire de l’électricité à bord du véhicule, ce qui augmente considérablement son autonomie. Toutefois les procédés traditionnels butent sur un problème environnemental. Lorsqu’on produit un kilogramme d’hydrogène à base d’hydrocarbures ou de charbon, on génère dans la foulée dix à vingt kilos de CO2 selon le mode de fabrication. Pour les 70 millions de tonnes précitées il faut donc compter avec 830 millions de tonnes de carbone. Fort de ce constat, tout l’enjeu des années à venir consiste à transformer l’hydrogène « gris » en hydrogène « vert », c’est-à-dire à décarboner ce gaz. Pour cela, les énergies renouvelables doivent se substituer au fossile. Une société comme McPhy se positionne exactement sur ce créneau, via deux marchés en particulier : d’une part, la conception et la fabrication d’électrolyseurs — ces équipements qui produisent un hydrogène décarboné à partir d’eau et d’électricité renouvelable ; d’autre part, la construction de stations hydrogène qui vont permettre aux véhicules — lourds et légers — de faire le plein d’hydrogène zéro carbone en seulement quelques minutes.

P. I. — Cet intérêt pour l’hydrogène décarboné est-il partagé par de nombreux pays ? Quelles sont les régions et/ou les institutions les plus dynamiques ? Les pouvoirs publics soutiennent-ils la filière ? 

L. C. — Il faut remonter deux petites années en arrière pour assister à une montée en puissance de l’hydrogène, un peu partout dans le monde. À l’échelle du globe, l’Hydrogen Council (HC) est un organisme de référence qui regroupe quelque 80 industriels aux ambitions affirmées. Plusieurs grands groupes français y sont représentés, parmi lesquels EDF, Engie ou Air Liquide. McPhy est aussi un membre actif. Au niveau de l’Europe et de la France, les associations Hydrogen Europe et AFHYPAC réunissent les principaux acteurs du marché. La Commission européenne entend soutenir l’effort : à l’été 2019, dans le cadre du programme Horizon Europe, un partenariat pour l’hydrogène propre a été mis sur les rails. Il vise à faire la synthèse des connaissances et des ressources technologiques et/ou financières — provenant des sphères à la fois publiques et privées. En France, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) — la feuille de route des pouvoirs publics sur la période 2018-2028 — table sur un développement progressif de l’hydrogène. Les scénarios élaborés par Nicolas Hulot en 2018, quand celui-ci était ministre de la Transition écologique, servent de socle. L’objectif principal est d’atteindre 10 % d’hydrogène décarboné dans l’industrie en 2023, puis une fourchette comprise entre 20 et 40 % d’ici à 2028. Début 2020, Bruno Le Maire à Bercy et Élisabeth Borne à la Transition écologique ont lancé un nouveau dispositif de soutien articulé autour de deux appels à manifestation d’intérêt (AMI). Le premier vise à encourager le recours à l’hydrogène dans le secteur ferroviaire tandis que le second porte sur le développement de « projets d’envergure européenne ou nationale sur la conception, la production et l’usage de systèmes à hydrogène ». L’idée est d’aider la filière à passer à la vitesse supérieure dans les usages ou la fabrication.

P. I. — Depuis quand McPhy est-il entré dans le paysage ? Quelles étapes importantes ont jalonné son ascension ?  

L. C. — McPhy a été créé en 2008. Les premières années ont été consacrées à une activité de recherche et développement dans le domaine des solutions de stockage d’énergie. Dès le début, la société a travaillé sur l’hydrogène, encouragée par des partenariats avec le CEA et le CNRS. Sans fausse modestie, elle fait partie des pionniers. En 2012, le pli a été pris de se consacrer exclusivement aux électrolyseurs et aux stations de recharge. En 2014, McPhy a été introduit en Bourse : une opération destinée en priorité à augmenter les moyens de financement. Encore aujourd’hui, l’innovation occupe une place essentielle chez McPhy. Elle doit nous permettre d’élargir à intervalles réguliers notre gamme de produits. En 2018-2019, une étape capitale a été franchie avec la mise en service de premiers démonstrateurs de taille plus importante, de l’ordre de 1 à 5 MW pour les électrolyseurs par exemple. Désormais, nous passons à un stade industriel avec, en quelque sorte, une massification de nos solutions. Personnellement, je suis arrivé à la direction générale de la société à l’automne 2019. Après une dizaine d’années passées dans le secteur de l’énergie, chez Alstom et General Electric, et des missions plus spécifiquement articulées autour du renouvelable. Pour sa part, Pascal Mauberger, le cofondateur de l’entreprise, est toujours présent, en qualité de président non exécutif. Pour résumer, McPhy est une entreprise en forte croissance qui est considérée comme indissociable des grands projets de développement de l’hydrogène zéro carbone. Elle a pris soin de ne pas brûler les étapes, ce qui est indispensable pour se positionner sur une technologie d’avenir. 

P. I. — En 2018, EDF est entré au capital de McPhy. Qu’est-ce qui a motivé cette opération ?

L. C. — Dans la trajectoire de McPhy, la prise de participation d’EDF constitue naturellement un événement majeur. Depuis juin 2018, EDF est présent dans le capital de McPhy à hauteur d’environ 21 %. Le géant de l’électricité est devenu notre premier actionnaire mais ce n’est pas notre seul partenaire de référence : nous accueillons aussi la Banque publique d’investissement (BPI), pour environ 8 %. En 2019, nous avons réalisé une augmentation de capital de 7 millions d’euros, à laquelle EDF et BPI ont tous deux abondé pour conserver la même part au capital : ils ont affiché clairement leur confiance dans le potentiel de la société. Le choix d’EDF comme actionnaire numéro un s’est imposé comme une évidence : McPhy souhaitait pouvoir s’appuyer sur un partenaire solide, incontournable dans le secteur de l’énergie et susceptible aussi de donner le maximum de visibilité à ses opérations. En effet, le lien avec EDF n’est pas uniquement capitalistique. Un accord technologique et commercial a également été conclu : il n’est pas exclusif — au sens où McPhy peut vendre ses produits à d’autres acteurs qu’EDF et ce dernier travailler dans l’hydrogène avec d’autres sociétés que McPhy —, mais il est engageant. Ce partenariat nous offre de belles opportunités : par exemple, nous avons accès aux structures recherche et développement d’EDF pour accélérer nos travaux. Il faudrait demander à EDF les raisons qui l’ont poussé à se retrouver à nos côtés, mais nous avons quelques éléments de réponse à travers les interventions de Jean-Bernard Lévy. Le président d’EDF souligne régulièrement son attachement au développement de l’hydrogène décarboné. Il considère vraiment ce domaine comme porteur de solutions d’avenir pour un accès élargi à l’énergie décarbonée. Quand nous l’écoutons, nous n’avons pas du tout l’impression chez McPhy qu’il s’agit d’un coup d’essai ou d’une prise de participation parmi d’autres, mais bien d’un engagement de long terme.

P. I. — Comment s’agence aujourd’hui le portefeuille de projets de McPhy ? 

L. C. — McPhy revendique à ce jour 37 mégawatts (MW) d’électrolyse, déjà implantés ou en train d’être construits. Parallèlement, nous participons au sein d’un consortium au chantier majeur de Delfzijl, au nord des Pays-Bas. Par sa puissance — 20 MW d’électrolyse — l’installation est l’un des plus gros projets au monde dans l’hydrogène décarboné, et le plus gros en Europe. Le fait que nous y soyons associés, avec deux grands opérateurs de gaz néerlandais, Nouryon et Gasunie, atteste de notre expertise. À Delfzijl, notre technologie va permette de convertir l’électricité renouvelable en 3 000 tonnes d’hydrogène zéro carbone par an. Dans ce consortium, on trouve également le producteur de méthanol BioMCN, la combinaison de l’hydrogène et du CO2 permettant de produire du méthanol vert. Je parle de ce volet car les sites d’hydrogène décarboné ne sont pas mono-affectations. Au contraire, plusieurs projets visant à décarboner l’énergie peuvent coexister. En France, aux côtés de GRTgaz, le premier gestionnaire du réseau de gaz en France, nous avons contribué à l’installation du seul démonstrateur industriel d’hydrogène décarboné à l’échelle du MW : le projet Jupiter 1000, basé à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) est le point d’ancrage de la filière Power-to-gas, soit la conversion de l’électricité d’origine renouvelable en hydrogène injecté dans les réseaux. McPhy a également en références, installées ou en cours d’installation, 25 stations hydrogène et s’impose comme un partenaire clé dans le déploiement du marché de la mobilité zéro émission. Nous avons notamment équipé la première station hydrogène pour bus en France et la première station hydrogène connectée à un électrolyseur pour produire sur site de l’hydrogène zéro carbone à partir d’électricité de source renouvelable.

P. I. — L’un des reproches adressés parfois à l’hydrogène décarboné concerne son prix. Les solutions seraient très coûteuses à mettre en place. Or la question de la compétitivité du prix de l’énergie est cruciale. On le voit bien avec le renouvelable : par exemple, les premiers appels d’offres dans l’éolien offshore en France se sont négociés largement au-dessus de 200 euros le mégawattheure (MWh). Quelques années plus tard, pour l’octroi du champ de Dunkerque (Nord), ce tarif est descendu sous la barre des 140 euros. Dans le solaire également, les progrès en matière de compétitivité sont patents avec des projets capables de concurrencer directement les énergies traditionnelles. Qu’en est-il de l’hydrogène ? Une chute des coûts est-elle envisageable à moyen terme ?  

L. C. — Tout d’abord, prétendre que l’avenir de l’hydrogène serait obscurci par son prix élevé est faux. Cela voudrait dire que nous sommes encore dans une phase de tests et qu’un passage à l’échelle, c’est-à-dire l’accès à un stade industriel, est encore lointain. Or ce n’est pas le cas, comme en témoignent les installations et les projets évoqués précédemment. Parlons chiffres maintenant, sachant que l’unité de référence dans l’hydrogène n’est pas le MWh mais le kilogramme. Pour atteindre la « parité réseau » — à savoir la possibilité de pouvoir concurrencer directement les autres sources d’énergie —, l’hydrogène devrait pouvoir être cédé autour de 2,5 euros le kilogramme. Il est bien question d’hydrogène zéro carbone, avec un prix qui intègre les dispositifs industriels de décarbonation nécessaires. Aujourd’hui, ce prix oscille entre 4 et 6 euros le kilogramme. Les calculs sont faciles à faire : la filière doit encore diviser ses coûts par deux pour être compétitive. À titre indicatif, les autres énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse…) ont divisé les leurs par un coefficient allant de cinq à dix au cours des dernières années. Les ambitions de l’hydrogène sont donc parfaitement raisonnables, étant entendu que l’électricité représente 80 à 85 % de son coût de fabrication. Or la production d’électricité verte connaît une baisse des prix exponentielle. Nous entrons dans un cercle vertueux : le coût de l’approvisionnement en énergie diminue, entraînant lui-même un recul du coût des équipements comme les électrolyseurs, et donc un prix de plus en plus attractif pour l’hydrogène décarboné.

P. I. — Vous êtes en train de dire que la filière hydrogène ne sera pas éternellement subventionnée…

L. C. — Comme à d’autres filières renouvelables ou porteuses d’avenir, on nous reproche parfois d’être une activité subventionnée. Mais cet appui est nécessaire pour donner l’impulsion qui permet à l’hydrogène de devenir une industrie à part entière. L’exemple des énergies vertes est parlant : si le solaire ou l’éolien sont aujourd’hui à la parité réseau dans un grand nombre de projets, ils le doivent à un système de soutien des pouvoirs publics solidement ancré qui leur a permis de se développer pour devenir compétitifs. Dans le cas de l’hydrogène, nous ne disposons pas d’un tarif de rachat de l’énergie produite, ni d’un complément de rémunération par rapport au prix de marché — pour reprendre certains des mécanismes en vigueur dans le renouvelable. L’aide est accordée au cas par cas, selon le dossier : ainsi, pour notre projet de construction de 20 MW aux Pays-Bas, les aides de la Commission européenne, via le partenariat public-privé du FCH-JU (Fuel Cell and Hydrogen Joint Undertaking) entre la Commission et Hydrogen Europe, s’élèvent à 11 millions d’euros. Parallèlement, un fonds d’investissement néerlandais, Waddenfonds, apporte 4 millions d’euros. Ces deux sources de subventions couvrent une part significative de l’investissement initial. En France, le plan Hulot prévoyait pour l’ensemble du secteur une enveloppe de 100 millions d’euros par an sur trois ans. Dans le cadre de la PPE, on part désormais sur une contribution annuelle de 50 millions. Mais les principes d’affectation de ces budgets ne sont pas encore définitivement balisés.

P. I. — Les investissements dans l’hydrogène montent en puissance, mais la France est-elle vraiment prête à donner sa chance à votre industrie ?  

L. C. — L’hydrogène n’est plus un domaine cantonné aux activités de recherche et développement qui bénéficieraient d’un effet de mode. Depuis deux-trois ans déjà, un grand nombre de décideurs — j’inclus la classe politique — ont pris conscience de l’importance de cette solution industrielle. Chacun a bien en tête l’accord de Paris de 2015 et la nécessité absolue de limiter la hausse du réchauffement climatique. Dans ce contexte, l’hydrogène décarboné est perçu comme un bon moyen de contribuer aux objectifs de décarbonation. Tout le monde reconnaît que ne pas soutenir cette filière reviendrait à se priver d’un élément fondamental au service de la transition écologique. Sur le plan opérationnel, les expérimentations s’intensifient et des projets sont dans les tuyaux. Par exemple, McPhy a livré en 2019 une grande station à l’agglomération de Lens-Béthune (Hauts-de-France), la première station pour bus à hydrogène en France, destinée à alimenter une flotte de dix véhicules. Cette initiative n’est pas isolée : l’addition des programmes et des compétences, avec l’ensemble des acteurs, traduit une vraie mobilisation. Les enjeux, répétons-le, sont d’envergure : remplacer le carburant traditionnel des véhicules, stocker l’électricité et décarboner le gaz naturel. Rien de moins à l’heure où la transition écologique est sommée d’accélérer.