Quel fournisseur pour quels besoins ?

Dossiers spéciaux : n°169 : Climat et développement : quand l’électricité bas carbone change la donne

Politique Internationale — La libéralisation du marché de l’énergie pour les particuliers date d’il y a près de quinze ans. Qu’est-ce qui a le plus changé dans la perception des consommateurs ? 

Xavier Pinon — Selon les données 2018 du Médiateur national de l’énergie, ce sont maintenant plus de deux Français sur trois qui savent que le marché est déréglementé. C’est déjà bien, car on part de loin : pendant plusieurs années, les consommateurs connaissaient très mal les évolutions du secteur. D’ailleurs, sur la période 2007-2010, les positions restent inchangées, avec deux opérateurs historiques, EDF et Engie (ex-GDF-Suez), qui abandonnent très peu de parts de marché. Aujourd’hui, près de 25 % des ménages sont sortis des tarifs réglementés dans l’électricité et plus de 60 % dans le gaz. La perception accrue des nouveaux enjeux tient largement aux campagnes marketing des différents fournisseurs. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) enregistre une trentaine de challengers pour EDF, dont quelques très grosses sociétés qui rivalisent de moyens publicitaires pour doper leur portefeuille de clientèle. Mais la compréhension du marché peut encore progresser : la France reste loin du Royaume-Uni où le marché intègre pleinement la rivalité entre une pléiade de fournisseurs. De ce côté-là de la Manche, il est complètement mature. Chez nous, une part d’irrationnel subsiste : par exemple, nombreux sont les consommateurs qui craignent des coupures, voire une rupture d’alimentation s’ils changent d’opérateur d’énergie, et préfèrent céder à la force de l’habitude plutôt que de faire un choix éclairé.

P. I. — Quelles sont les raisons qui poussent un ménage à changer de fournisseur ?

X. P. — Plusieurs facteurs entrent en jeu, soit séparément, soit en s’additionnant les uns aux autres. Le déménagement est souvent un élément déclencheur : l’installation dans un nouveau domicile pose immédiatement la question de la fourniture d’énergie et, par là même, du choix de l’opérateur. La question tarifaire est également un paramètre qui incite à sauter le pas : l’énergie est une commodité indispensable, dont le coût pèse lourd dans le budget familial. Changer de fournisseur pour faire des économies, le cheminement est logique. Il est d’autant plus logique quand un encart ou un spot publicitaire indique au consommateur que tel ou tel opérateur consent un rabais de 5, 10 ou 15 % par rapport aux tarifs de vente réglementés. Une autre motivation, plus méconnue celle-ci, est l’insatisfaction : pour une facturation jugée excessive, un service mal identifié ou tout simplement un mauvais contact au téléphone, il arrive qu’une personne décide brutalement de changer de fournisseur. Enfin, il y a la protection de l’environnement : je ne dis pas que tous les ménages ressentent l’urgence climatique avec la même intensité, mais cette donnée est entrée dans le champ de leurs préoccupations. Parce qu’ils veulent contribuer à la construction d’une planète plus vertueuse, un nombre croissant de foyers décident d’opter pour une offre d’énergie verte. À l’arrivée, quand on combine ces différents facteurs, on se rend compte qu’il y a plein de bonnes raisons pour sélectionner un nouvel opérateur, que ce soit dans le gaz et/ou l’électricité.  

P. I. — La concurrence dans l’énergie est souvent montrée du doigt car les prix ne diminuent pas. À la différence des télécoms où la montée en puissance de plusieurs opérateurs s’est traduite par une baisse significative de la facture pour le client…

X. P. — Derrière les prix de l’énergie il y a un secteur industriel à part entière dont les perspectives ne sont pas gravées dans le marbre. Par exemple, le consommateur sait bien que le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche) rencontre des difficultés et que la mise en route du réacteur nucléaire de nouvelle génération s’effectuera avec retard, ce qui sera source de dérapages financiers. Il sait bien aussi que les innovations technologiques améliorent la rentabilité des énergies renouvelables mais il se demande jusqu’à quel point elles peuvent concurrencer les énergies traditionnelles : en l’occurrence, le débat n’est pas tranché. Cette absence de visibilité, combinée au poids des investissements nécessaires pour faire fonctionner les infrastructures énergétiques, constitue un frein à la baisse des prix. L’énergie, contrairement aux télécoms, n’est pas une industrie de coûts fixes : au contraire, les coûts variables s’empilent, entre les taxes, les tarifs d’utilisation des réseaux et les achats de l’électron ou de la molécule de gaz. Une réalité qui n’est pas près de s’estomper.   

P. I. — Les offres d’énergie verte font actuellement couler beaucoup d’encre. D’un côté, les observateurs se félicitent que la quasi-totalité des fournisseurs proposent désormais à leurs clients de s’approvisionner en renouvelable ; de l’autre, ces mêmes observateurs mettent en garde contre une énergie verte qui ne serait pas vraiment verte. Bref, le vert serait avant tout un ingrédient marketing. Qu’en pensez-vous ? 

X. P. — Parlons de ce qui existe déjà : le système dit des « garanties d’origine », conforme à la législation européenne, autorise les fournisseurs à proposer une offre verte à condition de pouvoir démontrer qu’un producteur européen a injecté dans le réseau électrique une quantité d’énergie renouvelable équivalente à celle qu’ils commercialisent. Le certificat qu’ils acquièrent dans ce but garantit qu’il n’y a pas plus d’électrons verts vendus qu’il n’y en a d’injectés sur le réseau : la traçabilité est bien assurée. Ce système est une bonne base et il a le mérite d’exister. Mais les gens voudraient maintenant aller plus loin : ils souhaitent, par exemple, que l’acteur qui propose une offre verte s’approvisionne directement auprès d’un producteur renouvelable et non pas, comme c’est possible aujourd’hui, sur le marché ordinaire, à charge pour lui de se procurer par ailleurs des garanties d’origine. D’autres encore plus exigeants aimeraient que l’offre verte corresponde strictement à un volume d’énergie renouvelable produite par un parc éolien ou une centrale solaire situés à proximité de chez eux. Ces consommateurs oublient un peu vite que l’on ne peut pas sourcer l’électron : le kilowattheure produit par une éolienne est injecté dans le réseau mais on ne peut pas le tracer jusqu’à la prise électrique du foyer qui a souscrit une offre verte.

P. I. — Donc les offres vertes méritent d’être considérées… 

X. P. — Oui, car souscrire une offre verte permet bel et bien de soutenir la demande en garanties d’origine, et donc de faire progressivement augmenter leur prix pour rémunérer les producteurs renouvelables. La promesse d’assurer une traçabilité économique de l’énergie renouvelable est bien tenue par le système des garanties d’origine ! Les attaques contre les offres vertes ont par ailleurs tendance à épingler particulièrement les grands groupes de l’énergie, qui mènent des activités industrielles dans le nucléaire ou l’énergie fossile. Je pense qu’il serait plus constructif d’encourager les efforts de ceux qui ont véritablement engagé une transition vers davantage de renouvelable.

P. I. — En quelques années, le nombre des fournisseurs d’énergie s’est envolé. Comment faire pour se repérer dans ce maquis ultra-concurrentiel ? 

X. P. — Disons-le tout net : ce n’est pas chose facile. Au-delà de leur apparente simplicité, les offres de fourniture d’énergie sont difficiles à décrypter. Certaines présentent des prix indexés sur les tarifs réglementés, de sorte qu’ils évoluent à la hausse ou à la baisse en suivant des indices de référence. D’autres promettent des offres à prix fixes, mais il faut avoir conscience que les prix peuvent tout de même augmenter si les taxes augmentent. D’autres encore comportent des prix fixes, mais révisables à la baisse en cas de diminution des tarifs réglementés. Dans ce cas, la baisse n’intervient qu’à la date anniversaire du contrat et elle est plafonnée — ce qui fait une différence importante. Face à cette complexité, la méfiance du consommateur est accrue par l’écho médiatique créé autour des mauvaises pratiques de démarchage en porte-à-porte. De nombreux témoignages rapportent, en effet, que des commerciaux sonnent aux portes en se faisant passer pour des techniciens du gestionnaire de réseau venant faire la relève des compteurs.

P. I. — Comment surmonter ce manque de lisibilité des offres de fourniture d’énergie ?

X. P. — Les comparateurs sont un outil précieux au service des consommateurs. Ils ne se développent pas par hasard. Lorsque Selectra a été fondé en 2007, nous étions des pionniers. Aujourd’hui, nous sommes nettement plus nombreux : c’est la preuve qu’il existe une demande et un vrai besoin. En marge des comparateurs, je remarque que les gens font souvent confiance à une marque. Il en va de l’énergie comme des autres secteurs : quand une entreprise a bonne réputation, qu’elle est bien identifiée par le consommateur, alors ses offres commerciales trouvent naturellement un portefeuille de clientèle. La recommandation constitue aussi un moyen pour fidéliser des clients : de nombreux foyers optent pour un fournisseur plutôt qu’un autre parce que quelqu’un dans leur entourage en est satisfait et leur en a dit du bien. Ce mode de fonctionnement peut conduire les opérateurs à développer des opérations de parrainage, autrement dit à récompenser des clients qui leur apportent d’autres clients.   

P. I. — Aux yeux des consommateurs, les tarifs de vente réglementés sont-ils une valeur refuge ? Cette spécificité franco-française est-elle une force ?   

X. P. — Avant toute chose, il convient de distinguer le gaz et l’électricité. Dans le gaz, les tarifs administrés appliqués par Engie (ex-GDF Suez) seront supprimés à partir de 2023. Le processus est déjà bien engagé puisque le groupe ne commercialise plus de nouveaux contrats de fourniture de gaz au tarif réglementé. Dans l’électricité, les prix administrés d’EDF n’ont pas vocation à disparaître, du moins rien ne le laisse prévoir. Alors oui, ces prix réglementés sont une valeur refuge simplement au sens où ils servent d’indicateur de référence autour duquel s’articulent les tarifs de la concurrence. Ils sont comme une boussole qui donne un cap au consommateur. Mettons qu’ils disparaissent définitivement un jour : les pouvoirs publics pourraient prendre l’initiative de créer un nouvel indice de référence, qui ne serait pas rattaché à une offre en particulier. 

P. I. — Quel est le profil type du consommateur qui consulte un comparateur d’offres sur Internet comme Selectra ?

X. P. — Nous nous adressons à tout le monde. La frange la plus jeune de notre clientèle se porte tout de suite sur le comparateur : elle souhaite avoir une vue globale du paysage afin d’affiner sa recherche d’un fournisseur. La clientèle plus senior va privilégier les achats groupés. Rappelons le principe : avec l’aide d’un partenaire, comme Familles de France ou le WWF France, Selectra constitue un portefeuille de clientèle désireuse d’obtenir un meilleur prix. Une fois en possession de ce portefeuille — au terme du délai de la période de pré-inscription —, nous faisons le tour de la place pour savoir quel opérateur sera enclin à consentir le tarif le plus attractif sur une durée d’un an ou plus. L’expérience de ces appels d’offres d’achat groupé est probante : plusieurs milliers de consommateurs s’inscrivent et obtiennent un rabais conséquent. Nous visons aussi des personnes en quête d’un renseignement précis : j’en reviens aux énergies vertes et à la possibilité que nous offrons de sélectionner au plus près les offres 100 % renouvelables.

P. I. — Le compteur électrique intelligent Linky est en train d’être installé dans des millions de foyers. Qu’apporte-t-il précisément au consommateur ? Lui permettra-t-il de profiter de nouvelles offres commerciales ? 

X. P. — Je ne m’appesantirai pas sur la polémique qui accompagne le déploiement de ce grand programme. Fondamentalement, je ne suis pas sûr que ce nouvel équipement révolutionne d’emblée le quotidien du consommateur. D’une part, sauf exception, il n’aura pas les yeux rivés sur Linky pour suivre l’évolution de sa courbe de charge. D’autre part, pour que les offres commerciales soient beaucoup plus détaillées qu’aujourd’hui, il faudrait que les fournisseurs aient accès à un maximum de données de consommation. Or on l’a bien vu : les premiers pas de Linky ont été rendus difficiles en raison des inquiétudes concernant le respect de la vie privée. Dans ces conditions, même si Linky peut permettre d’améliorer la connaissance de chacun sur sa consommation d’électricité, les contraintes juridiques et réglementaires sont telles que la donne ne changera pas à court terme. À moyen terme, en revanche, de plus en plus de consommateurs avertis s’intéresseront aux nouvelles offres proposant par exemple des heures creuses sur des horaires personnalisés.      

P. I. — Selectra a été fondé en 2007, au moment où la libéralisation du marché de l’énergie n’en était encore qu’à ses balbutiements. En conclusion, treize ans plus tard, qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans l’évolution de ce secteur ? 

X. P. — D’abord laissez-moi vous dire que nous ne regrettons pas une seconde d’avoir lancé Selectra. À l’époque, nous voulions créer une entreprise dans un domaine qui soit à un carrefour et où le paysage était susceptible de se transformer. De ce côté-là, le cahier des charges a été parfaitement rempli et ce n’est pas terminé, car l’énergie est toujours un secteur en mutation. Avec un peu de recul, nous sommes impressionnés par le nombre d’acteurs : qui aurait pu imaginer qu’une bonne trentaine de fournisseurs concurrenceraient aujourd’hui EDF pour livrer de l’électricité ? Certes, des mouvements de concentration ne sont pas à exclure, mais cette concurrence est partie pour rester vivace. À preuve, ils sont désormais trois géants à jouer dans la même cour : EDF, Engie et Total Direct Énergie. Une autre surprise réside dans la capacité d’innovation marketing des différents opérateurs : on pourrait croire que le système des offres est aujourd’hui bien balisé mais, non, de nouvelles formules sont régulièrement mises en chantier. Par exemple, on voit des distributeurs qui assortissent la souscription à un contrat d’énergie de bons d’achat dans leurs magasins. Enfin, outre l’essor du nombre d’acteurs et leur inventivité commerciale, je mettrais en avant la montée de l’urgence climatique. Désormais, la quasi-totalité des fournisseurs proposent des offres vertes et l’engouement des consommateurs ne fait que croître. Tout le monde a conscience que le secteur de l’énergie doit devenir beaucoup plus vertueux sur le plan environnemental.   

* Cofondateur du comparateur d’offres sur Internet Selectra.