Brigitte Adès — La crise que nous traversons risque-t-elle de déboucher sur un syndrome « à la japonaise », qui a fondamentalement favorisé l’épargne au détriment de l’investissement ?
Larry Summers — Ce que l’on appelle la « stagnation séculaire », caractérisée par une demande atone, une croissance molle, une tendance déflationniste et des taux d’intérêt très bas, touchait déjà les États-Unis bien avant la crise du Covid mais elle s’est, à l’évidence, aggravée. Devant les incertitudes — même de courte durée — d’approvisionnement de certains biens de consommation, l’épargne des ménages, aux États-Unis, a atteint de nouveaux sommets et, devant ces incertitudes, les entreprises ont, elles aussi, revu leurs investissements à la baisse. De ce fait, les taux ont encore baissé.
B. A. — Une instabilité financière à moyen et long terme est-elle à prévoir ?
L. S. — Les sommes épargnées s’investissent naturellement dans les actifs existants, ce qui favorise les effets de levier sur les emprunts, la création de bulles d’actifs et une instabilité financière.
B. A. — Quelles solutions préconisez-vous pour éviter cette instabilité financière ?
L. S. — Le secteur public doit jouer un rôle beaucoup plus important afin, d’une part, d’assurer une adéquation entre l’offre et la demande et, d’autre part, de veiller à ce que l’épargne excédentaire ne se transforme pas en offre d’actifs à des prix ridicules.
B. A. — Y a-t-il eu des erreurs commises dans la gestion économique de cette crise ?
L. S. — Je pense que les professionnels de la macro-économie n’ont pas correctement évalué ce phénomène d’épargne excessive.
Si nous n’y remédions pas, nous ne relèverons pas aisément les défis de la croissance lente, des inégalités qui augmentent et de l’instabilité financière qui entraînent protectionnisme accru et nationalisme économique, tout cela dans un monde où la demande est insuffisante.
B. A. — Quels seraient vos conseils aux décideurs ? Que feriez-vous si vous étiez toujours aux commandes ?
L. S. — Je considère qu’il y a plusieurs priorités : concentrer un maximum d’énergie sur l’investissement public et réduire les inquiétudes des entreprises, élaborer des politiques fiscales adéquates.
B. A. — Comment inciter les investisseurs à se tourner vers le secteur public ?
L. S. — Tout investisseur est à même d’observer que notre économie est en train de subir une évolution extraordinaire que je décrirais comme une « dé-massification ». Nous n’avons plus besoin d’autant d’objets de consommation.
Il y a moins de place pour les investissements dans le secteur privé puisque Uber nous aide à partager nos véhicules, et Airbnb nos maisons. Pour 600 dollars, nous avons, avec nos téléphones, un pouvoir numérique exceptionnel ; quant au fracking, il nous fournit un pétrole moins coûteux à mesure que l’exploration est moins gourmande en capital…
À l’inverse, il y a pléthore d’opportunités pour les investissements publics susceptibles de générer de très hauts retours sur investissement. Mais ceux-ci ne sont pas encore intégrés dans nos méthodes de comptabilité et nos calculs. C’est donc très simple : à mesure que les investisseurs observeront qu’il existe moult opportunités d’investissements publics dans des infrastructures, ils se détourneront du …
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