C’est un ultimatum que le président turc Recep Tayyip Erdogan a lancé au monde, vendredi 24 juillet, depuis la basilique-musée Sainte-Sophie transformée en mosquée sur son ordre lorsqu’il a invité sa population à renouer avec « l’esprit de la conquête » (1). Sur le parvis de l’édifice, une foule en liesse, 350 000 fidèles pour la plupart amenés par bus entiers depuis toutes les régions du pays, exhibait ce jour-là des banderoles et des badges à son effigie et à celle de Mehmet II, le sultan qui conquit Constantinople en 1453.
De toutes les figures historiques — Alparslan, Mehmet II le conquérant, Abdulhamid, Atatürk — régulièrement présentées par Erdogan comme ses doubles, le « Conquérant » est son préféré. D’ailleurs, après la prière du vendredi à Sainte-Sophie, c’est sur la tombe de ce souverain que le président turc et son partenaire de coalition, Devlet Bahçeli, le chef du parti de l’Action nationaliste (MHP), sont allés se recueillir.
Visées expansionnistes
Revendiqué par Mehmet II en 1453, le « droit de l’épée » est désormais l’argument avancé par Ankara pour justifier ses visées expansionnistes. Ressassées à l’envi, l’« épée » et la « conquête » s’appliquent aussi bien aux monuments d’Istanbul qu’à la Méditerranée, la Syrie ou l’Afrique. Les islamo-conservateurs adhèrent à cette vision. L’hubris et le désir de revanche ont envahi le discours officiel (2). L’orgueil est démesuré, la confiance en soi, surdimensionnée, les drones et les frégates militaires ont supplanté la diplomatie. Le ministère turc des Affaires étrangères, dont les fonctionnaires ont longtemps été décrits comme les plus laïques et les plus pro-occidentaux de la région, a été contaminé par cette mentalité.
La veille tradition diplomatique turque, fondée sur le respect du statu quo et l’ancrage dans le camp occidental s’est estompée au profit d’une politique étrangère coercitive et maximaliste. L’objectif a changé. Il ne s’agit plus de protéger le territoire national hérité du traité de Lausanne (3), mais de projeter la puissance turque par-delà les frontières de façon à reconstituer l’influence perdue sur les anciens territoires de l’Empire ottoman.
Jamais dans son histoire récente, la Turquie n’a été engagée simultanément dans autant d’opérations militaires. Son armée est présente en Syrie, en Libye et dans le nord de l’Irak. Elle est impliquée, aussi, dans un bras de fer avec la Grèce, sur fond d’explorations gazières et pétrolières contestées en Méditerranée orientale. Ankara s’affirme comme un partenaire de plus en plus problématique pour ses alliés occidentaux.
De fait, ses activités militaires dans la partie orientale du bassin méditerranéen menacent ouvertement la sécurité de l’Union européenne. Ces dernières années, les découvertes de gisements gaziers se sont multipliées dans la région, notamment au large de Chypre. Divisée depuis 1974 (4), l’île est au centre de la dispute. Les réserves de gaz mises au jour dans sa Zone économique exclusive (ZEE) s’annoncent prometteuses. Depuis 2018, les géants de l’énergie — Total, ENI, ExxonMobil, Noble Energy — sont à pied d’œuvre pour exploiter ces gisements. Tous ont reçu leurs licences de la République de Chypre, seule détentrice de la souveraineté sur l’île.
Ankara, qui ne reconnaît pas Chypre en tant qu’État, …
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