Les Émirats arabes unis au coeur d'un nouveau Moyen-Orient

n° 169 - Automne 2020

Ce n’est pas totalement un hasard si celui qui fut au cœur des négociations pour la normalisation des relations entre les Émirats arabes unis et Israël est à la fois un homme venu du monde des affaires et un diplomate chevronné. Dans cet entretien exclusif qu’Anwar Gargash a accordé à Politique Internationale, à la veille de la signature de l’« accord d’Abraham » entre les Émirats, Bahreïn et Israël, le ministre des Affaires étrangères émirien — 61 ans, héritier d’une grande famille de commerçants et d’entrepreneurs, formé à Georgetown et à Cambridge — confie que son pays a agi par « pragmatisme ». Selon lui, les postures du front du refus vis-à-vis d’Israël n’étaient plus tenables ; quant aux Palestiniens, ils devraient sortir d’un immobilisme dont ils ont trop souffert. 

De façon subliminale, Anwar Gargash livre également un plaidoyer en faveur de la méthode diplomatique mise en œuvre par le prince héritier Mohammed Bin Zayed. Une méthode débarrassée de tout dogmatisme, inspirée, d’après lui, par le dialogue des cultures et obéissant au seul souci de la stabilité et de la paix. 

F. C.

François Clemenceau — Qui, aux Émirats, a eu le premier cette idée de normaliser les relations avec Israël ? Venait-elle de vous ?

Anwar Gargash — C’est l’aboutissement d’un processus collectif qui a commencé il y a plus de vingt ans aux Émirats, mais aussi en Israël et aux États-Unis. Mais ce qui a vraiment permis d’accélérer les choses et de parvenir à un accord, c’est l’engagement qu’a pris Benyamin Netanyahou de ne pas annexer la Cisjordanie (1). Déjà, plusieurs épisodes nous avaient rapprochés des Israéliens ces dernières années : leur décision, en 2015, d’envoyer un représentant auprès de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (2) installée à Abou Dhabi ; l’autorisation donnée aux touristes et aux professionnels de se rendre à Dubaï pour l’Exposition universelle (3) que nous devions accueillir en 2020-2021 ; ou la coopération mutuelle que nous avons développée pendant la pandémie. En fait, nous nous sommes rendu compte que nos désaccords sur le dossier palestinien ne nous empêchaient pas de discuter et de développer nos échanges. Lorsque nous avons réalisé qu’il était possible d’obtenir un gel de l’annexion de la Cisjordanie, nous avons, avec l’aide des États-Unis, décidé de franchir le pas. 

F. C. — Vous parlez d’un gel de l’annexion, mais le projet n’est que suspendu…

A. G. — Rien n’est permanent, en effet. Nous avons discuté de la mise en place d’un calendrier concernant ce gel — ou cette suspension, si vous préférez — qui permette d’ouvrir des négociations en vue d’une solution à deux États pour Israël et les Palestiniens (4). L’histoire du conflit israélo-palestinien nous a appris que lorsque vous ne négociez pas, vous reculez. De leur côté, les Israéliens, et en particulier Netanyahou, ont compris qu’en annexant la Cisjordanie ils provoqueraient un tollé dans le monde entier et que tout projet de normalisation avec un pays arabe serait immédiatement interrompu. Même si je suis convaincu que cette normalisation va dans le sens de l’Histoire et que, tôt ou tard, elle s’imposera …