Bruno Tertrais — Certains observateurs estiment que l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche n’aura pas d’incidence notable sur la relation transatlantique. En faites-vous partie ?
Bernard Cazeneuve — Considérer que la relation entre l’Europe et les États-Unis ne changera pas après l’avènement de Joe Biden nous renvoie à la question de savoir pourquoi nous avons été si nombreux à souhaiter sa victoire et le départ de Donald Trump. Pourquoi avoir espéré à ce point une alternance si les Américains, le monde et nous-mêmes ne pouvons rien en attendre ? En fait, si nous avons été en opposition avec certaines décisions prises par Trump, comme sa dénonciation unilatérale du JCPOA sur l’Iran ou de l’accord de Paris sur le climat, c’est bien parce qu’il y a eu une rupture entre la politique conduite par son administration et celle qui prévalait sous la précédente. J’ajouterai à ces griefs la volonté des États-Unis d’imposer de façon unilatérale la force de leur droit, par-delà leurs frontières. Or l’extraterritorialité du droit américain est un véritable danger pour l’Europe, pour ses industries, pour ses services, pour sa liberté de choix diplomatique également, comme en a récemment témoigné le traitement du dossier iranien ayant conduit au départ de la plupart des grands groupes européens de Téhéran (1).
Il nous appartient donc d’essayer de construire avec les États-Unis un ordre mondial qui soit davantage conforme à ce que les humanistes occidentaux, épris de démocratie, d’équilibre, de respect des libertés, peuvent souhaiter. Je pense évidemment aux nouveaux défis planétaires auxquels aucune véritable réponse ne pourra être apportée sans y associer les États-Unis : l’urgence climatique, la cybercriminalité ou la nécessaire régulation de l’Internet. Mais il en va aussi des enjeux plus traditionnels de notre sécurité collective.
B. T. — Peut-on envisager une refondation de la relation euro-atlantique ?
B. C. — C’est possible à condition que l’Europe soit capable de prendre en main son propre destin dans un certain nombre de domaines, comme la politique étrangère ou la politique de défense. Cela dépendra notamment de notre capacité à maintenir une relation sur les questions de sécurité et de défense avec le Royaume-Uni, auquel nous lient les accords de Lancaster House (2). Ces accords ne sont pas rien. Ils engagent les deux puissances nucléaires du continent européen. Pour cette raison, la France a un rôle particulier à jouer : celui de trait d’union entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, dans un contexte où rien ne peut se faire en matière de politique de défense, en Europe, sans le renforcement et l’approfondissement de la relation franco-allemande, et où rien ne peut se faire non plus en termes de dynamisation du lien euro-atlantique sans le maintien du lien avec le Royaume-Uni. J’espère sincèrement que le président de la République profitera de l’élection de Joe Biden pour sortir du constat de la « mort clinique » de l’Alliance atlantique (3). Il lui faut, à présent, aller plus loin. Il lui faut définir les modalités d’une refondation de l’Alliance, en rapport avec le projet européen et dans le cadre d’une nouvelle relation avec le …
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