La crise politique qui a éclaté en Biélorussie au lendemain de l’élection présidentielle du 9 août 2020 a surpris par l’ampleur et la durée de la mobilisation contestataire. Elle a non seulement révélé le manque de légitimité du régime autoritaire bâti par Alexandre Loukachenko depuis plus d’un quart de siècle, mais remis en question les grilles d’analyse des évolutions régionales.
Les enjeux : les principaux acteurs et leurs stratégies
Les facteurs qui ont contribué au déclenchement de cette crise ressemblent à ceux qui furent à l’origine des révolutions de couleur au début des années 2000, comme la révolution des roses en Géorgie en 2003 ou la révolution orange en Ukraine en 2004. La fraude massive qui a permis à Loukachenko de s’attribuer un score officiel de 80 % lors de l’élection présidentielle du 9 août 2020 a suscité une forte réaction populaire. En dépit d’une violente répression, ces mouvements de protestation se poursuivent depuis plusieurs mois dans ce pays longtemps décrit par les médias occidentaux comme la dernière dictature d’Europe. Le phénomène est d’autant plus inattendu que la plupart des Biélorusses semblaient résignés face à la mascarade électorale à répétition que leur imposait Loukachenko pour la sixième fois (1).
La Biélorussie, qui a acquis son indépendance par défaut suite à la dissolution de l’Union soviétique en 1991, n’avait pas connu de mouvement d’opposition nationale suffisamment fort pour évincer l’élite communiste conservatrice. Le régime autoritaire de Loukachenko s’est construit, depuis 1994, dans la continuité du modèle économique et social soviétique tout en cherchant à perpétuer l’atomisation de la société (2). Toute manifestation de l’opposition était sévèrement réprimée, comme toute tentative d’émancipation au sein de l’élite dirigeante. Les seules organisations politiques ou sociales autorisées étaient celles qui servaient à encadrer la population et à cultiver la loyauté à l’égard du régime (BRSM, Belaïa Rous’, la Fédération des syndicats de la Biélorussie, etc.). Loukachenko ne s’est même pas donné la peine de créer un parti politique pro-présidentiel et le Parlement biélorusse, élu au scrutin majoritaire, est toujours composé majoritairement de députés sans affiliation partisane. Bien qu’aucune alternance ne soit envisageable, le président n’a pas renoncé à la tenue régulière d’élections dont la fonction principale est de légitimer symboliquement son pouvoir.
Mais, dans un régime autoritaire, ce simulacre d’exercice démocratique n’est pas sans risques. Il suffit que les citoyens décident de prendre au pied de la lettre la possibilité qui leur est théoriquement offerte par la loi de choisir leurs gouvernants pour que l’édifice commence à se fissurer. C’est ce qui s’est passé en août 2020 lorsqu’une véritable révolution a pris corps au sein de la société civile. L’expérience de mobilisation collective et de solidarité vécue par les citoyens biélorusses forge, sous nos yeux, une nouvelle nation.
La mobilisation multiforme de la société civile
Les citoyens biélorusses sont les acteurs clés du mouvement contestataire en cours. Les rassemblements spontanés des premiers jours se sont rapidement transformés en grandes manifestations du dimanche baptisées « la marche des héros » qui rassemblent entre 100 000 et 200 000 personnes. Parallèlement, d’autres manifestations se sont mises en place comme celles …
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