Les Grands de ce monde s'expriment dans

Europe de la défense et défense de l’Europe

Voilà un marin qui a choisi dès le départ de servir sous les eaux du globe. Ancien commandant des sous-marins nucléaires d’attaque Casabianca et Saphir, commandant en second de l’Indomptable puis pacha de l’Inflexible, deux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ce natif de Brest a passé près de 30 000 heures en plongée. Cette « vision cachée d’une partie du monde » a permis à Bernard Rogel de développer un sens aigu de la stratégie et de la géopolitique avant de le conduire au plus haut des centres de décision militaire. Sous-chef des opérations militaires à l’état-major des armées, il a dirigé les opérations Licorne en Côte d’Ivoire et Harmattan en Libye. Chef d’état-major de la Force océanique stratégique, de la Marine nationale, il a achevé sa carrière en conseillant François Hollande puis Emmanuel Macron à l’Élysée en tant que chef d’état-major particulier. De quoi pouvoir jauger le monde tel qu’il est, de plus en plus brutal, et recommander l’accélération d’une Europe de la défense capable d’assurer une souveraineté stratégique à l’Union européenne.

F. C.

François ClemenceauPeu de gens savent quel est le rôle du chef d’état-major particulier du président de la République (CEMP). Au sein de cette structure, vous avez servi plusieurs présidents. La mission a-t-elle évolué avec le temps ?

Bernard Rogel — La fonction de CEMP a été voulue par le général de Gaulle pour remplacer la Maison militaire qui existait sous la IVe République. L’EMP a été créé pour assister le président dans la doctrine et la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire. Par la suite, il a vu son périmètre s’élargir jusqu’à prendre en charge toutes les questions stratégiques en lien avec le conseiller diplomatique du chef de l’État. À l’étranger, cette mission revient souvent à une seule personne qui a le titre de conseiller à la sécurité nationale. En France, c’est un binôme qui peut devenir trinôme avec le directeur de cabinet de l’Élysée qui a en charge les thématiques de sécurité intérieure. Le CEMP traite donc au quotidien de la stratégie française au sens large, ce qui recouvre tout ce qui touche à l’autonomie stratégique, la défense et la souveraineté nationale, y compris dans sa dimension technologique. L’EMP est une petite structure. Le CEMP a quatre adjoints, qui sont tous diplômés des hautes études militaires, et une vingtaine de personnes servant sous leurs ordres. Le CEMP fait aussi le lien entre le président de la République, la ministre des Armées et le chef d’état-major des armées (CEMA). Il a également un rôle de « traducteur » pour que le langage de l’exécutif civil soit compris des militaires et vice versa.

F. C.Est-ce une fonction prisée ?

B. R. — Ce poste est au cœur du processus de décision politico-militaire. J’avais déjà été pendant deux ans l’adjoint du CEMP au cours de la présidence Chirac  (1) . Cette expérience m’a beaucoup appris. Mais il faut bien comprendre que cette fonction exige que l’on ait un lien de confiance étroit avec le président de la République. À sa prise de fonctions, comme je l’avais fait avec son prédécesseur, j’ai demandé au président Macron de pouvoir lui parler très librement avant qu’il ne prenne ses décisions. Il l’a accepté et cela a toujours été le cas au cours de mes trois années à ses côtés. Il est fondamental que le chef des armées puisse recevoir de la part de son « conseiller militaire » des avis qui reposent sur sa connaissance, son expertise et sur ce qu’il ressent vraiment, car les conséquences des décisions dans ce domaine sont toujours très lourdes. Lorsqu’on est pressenti pour occuper ce poste, on est reçu par le président pour une conversation d’une heure environ. On y vérifie, chacun, notre degré de compatibilité. Il n’y a pas que la réputation ou le CV qui compte, il y a aussi le caractère. Après, c’est jour après jour que se bâtit et se fortifie cette relation de confiance.

F. C.Vous êtes le seul à avoir été chef d’état-major d’une armée, la Marine, avant d’aller à l’Élysée. Alors que, …