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Ukraine-Russie : le go-between

Le terrible conflit qui dévaste l’Ukraine depuis début 2014 a déjà provoqué plus de 13 000 morts et 1,5 million de déplacés. Les affrontements font toujours rage entre l’État ukrainien et les séparatistes de Lougansk et de Donetsk, sans parler de la Crimée, annexée par la Russie en 2014. Le « format Normandie », groupe informel qui réunit l’Ukraine, la Russie et ces deux médiateurs que veulent être la France et l’Allemagne, n’a guère porté ses fruits jusqu’ici, pas plus que les accords de Minsk conclus en 2015 (1). Par surcroît, le pays est au bord de la faillite, aggravée par une corruption endémique, et semble incapable de faire face à la crise sanitaire. Kiev vit aujourd’hui sous perfusion du FMI et le président Volodymyr Zelensky, comédien élu en mai 2019, a déçu les espoirs de changement qu’il avait suscités. Son parti a enregistré un net recul (revers) au premier tour des élections locales (municipales et parlements régionaux) d’octobre dernier.

Dans ce contexte, Politique Internationale a souhaité recueillir les propos de Viktor Medvedtchouk. Cet avocat et homme d’affaires de premier plan, aujourd’hui âgé de 66 ans, élu au Parlement de 1997 à 2006 et redevenu député en 2019, ancien chef de l’administration présidentielle de Leonid Koutchma (2002-2005), est l’un des principaux adversaires de M. Zelensky.

Considéré comme un ami personnel du président russe Vladimir Poutine, Medvedtchouk est peu apprécié, on s’en doute, par les nationalistes ukrainiens ; mais son parti, la « Plateforme d’opposition-Pour la vie », est devenu le premier parti d’opposition après les élections législatives de 2019, obtenant 43 sièges avec 13 % des suffrages. Ses appels répétés à composer avec Moscou l’ont conduit à jouer, depuis 2014, un rôle d’intermédiaire entre le gouvernement de Kiev et les insurgés de l’Est, en facilitant notamment la libération de centaines de prisonniers. Bien que son parti représente les minorités russophones du pays (2), il se défend d’être « l’homme de Moscou » et affirme que sa position « d’entre-deux » est la seule voie possible pour établir une paix durable. Avant même de parler de paix durable, il est indispensable, affirme-t-il, de mettre en place une relation plus apaisée avec la Russie afin de résoudre des questions très concrètes comme les échanges de prisonniers entre l’Ukraine et les zones sécessionnistes, le sort des retraités de l’Est qui ne perçoivent plus leurs pensions ukrainiennes, ou encore le contrôle des points de passage entre les deux territoires. Un discours qui porte de plus en plus dans une Ukraine épuisée par près de six ans de conflit avec sa puissante voisine…

G. J.

Grégory JullienVotre influence politique n’a cessé de croître depuis la présidence Koutchma jusqu’à la fondation, en 2018, de la « Plateforme d’opposition-Pour la vie », qui est aujourd’hui le premier parti d’opposition en Ukraine. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce une question de moyens, de force de conviction ?

Viktor Medvedtchouk — Je vous répondrai en citant Victor Hugo : « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. » Et, précisément, l’heure est venue d’adopter nombre de ces idées pour lesquelles je me bats depuis des années, malgré les pressions et les persécutions politiques que j’ai subies sous les présidents Iouchtchenko, Ianoukovitch, Porochenko et, aujourd’hui, Zelensky (3).

La cote de popularité du parti « Plateforme d’opposition-Pour la vie » s’approche déjà de celle de « Serviteur du peuple », le parti, majoritaire au Parlement, qui a soutenu Volodymyr Zelensky lors de la dernière élection présidentielle. Un récent sondage effectué par l’Institut ukrainien d’analyse et de prévision a montré que notre formation bénéficie d’un soutien de 22,1 %, contre 26,9 % pour le parti pro-présidentiel. Pourquoi progressons-nous aussi vite ? C’est simple : les Ukrainiens ont réalisé que Zelensky est incapable de répondre aux défis auxquels l’Ukraine est confrontée. En revanche, notre parti, lui, a élaboré des stratégies et des plans détaillés visant à régler le conflit dans le Donbass, à créer les conditions de la reprise économique et à assurer la protection sociale des citoyens.

Nous savons comment faire pour augmenter le salaire minimum de 5 000 hryvnias (151 euros), son niveau actuel, à 7 713 hryvnias (233 euros). Nous savons où trouver cet argent. Nous savons comment faire en sorte que les tarifs des services publics n’augmentent pas dans des proportions astronomiques (alors qu’au niveau mondial les prix de l’énergie sont en baisse) mais, au contraire, diminuent.

Quand nous arriverons au pouvoir, nous mettrons tous ces engagements en œuvre. Si le gouvernement avait écouté nos recommandations plutôt que les exigences du FMI et des États-Unis, si la majorité parlementaire avait appliqué les méthodes que nous préconisons (4), l’Ukraine afficherait aujourd’hui une croissance économique positive, et non une récession catastrophique. Les électeurs le comprennent de plus en plus et se tournent donc tout naturellement vers nous. Aux yeux de la population, notre parti apparaît comme le plus crédible à la fois pour redresser la situation économique et pour en finir avec l’interminable conflit qui déchire le pays depuis six ans.

G. J.Parlons, justement, des conditions de la paix. Les séparatistes du Donbass et les autorités ukrainiennes négocient depuis plusieurs années, sans aucun résultat. À quoi attribuez-vous cet échec ?

V. M. — Au manque de volonté politique des responsables de Kiev. Le président Porochenko ne voulait pas réellement faire la paix, et force est de constater que son successeur Zelensky ne le souhaite pas non plus, en dépit des déclarations grandiloquentes et vides de sens qu’il multiplie sur le sujet.

Comparez la fin de la présidence de Porochenko et le début de celle de Zelensky, et essayez de trouver des différences. Si l’on regarde ce qui se passe dans le pays, on a l’impression de vivre non pas la deuxième …