Il connaît aussi bien la Chine que les États-Unis. David Shambaugh est l’un des sinologues les plus réputés du monde, mais aussi l’un des mieux introduits dans les hautes sphères universitaires et politiques chinoises. Auteur particulièrement prolixe, il a à son actif plus d’une trentaine d’ouvrages dont China Goes Global, sélectionné par l’hebdomadaire The Economist comme l’un des meilleurs livres de l’année 2013. En 2015, l’ONG américaine Asia Foundation l ’a cité parmi les observateurs de la Chine les plus influents. Mais ce qui rend ses analyses encore plus percutantes, c’est qu’il a changé d’opinion sur le régime chinois depuis l ’arrivée de Xi Jinping au pouvoir. Jusqu’en 2015, David Shambaugh était connu pour manifester une certaine admiration envers les réformes menées par Jiang Zemin et Hu Jintao. Dans ses tribunes et ses articles, il vantait volontiers la « résilience » et la « flexibilité » du parti communiste chinois, au point que certains, aux États-Unis, lui reprochaient une trop grande « neutralité » vis-à-vis de Pékin. Il a brusquement fait volte-face après l’élection de Xi Jinping. Depuis, il considère que les méthodes extrêmement autoritaires et la politique répressivede l ’actuel président rapprochent chaque jour un peu plus la Chine d’un point de rupture.
I. L.
Isabelle Lasserre — Si vous étiez président des États-Unis, quelle serait votre politique chinoise et quelles seraient vos priorités ?
David Shambaugh — Je pense que ma première priorité serait de maintenir la paix entre la Chine et les États-Unis et, plus globalement, dans la région Asie-Pacifique. La guerre entre ces deux puissances reste, en effet, une éventualité. Personne, bien entendu, ne la désire ; c’est une possibilité qui paraît même abstraite, mais il n’empêche que cela reste une possibilité ! N’importe quel président des États-Unis devrait se concentrer sur ce danger et prendre les mesures nécessaires pour éviter que la relation ne devienne trop tendue, voire conflictuelle. Le danger est réel, car si une guerre éclate, elle ne sera pas contrôlable.
Ma deuxième priorité serait de promouvoir ou plutôt de restaurer — parce que l’administration Trump les avaient interrompus — les échanges culturels, universitaires, touristiques, entre les organisations non gouvernementales des deux pays. L’un des meilleurs moyens de maintenir la paix est, comme vous le savez, d’établir une base d’interactions entre les sociétés afin de constituer une sorte de zone tampon qui prémunisse contre d’éventuels affrontements. J’ai contribué à l’élaboration des politiques chinoises américaines pendant quarante ans, mais force est de constater qu’elles sont tombées en panne sous Donald Trump. Il faut donc aujourd’hui les reconstruire.
I. L. — Et sur le plan politique ?
D. S. — J’y viens. Ma troisième priorité serait de continuer à militer pour la libéralisation de la Chine, sur le plan politique, économique, social, religieux et culturel. Il ne s’agit pas de mettre en avant les valeurs occidentales mais, plus largement, de promouvoir les valeurs libérales, qui ne sont pas le seul apanage des États-Unis et de l’Europe. Même si à l’origine les valeurs libérales étaient occidentales, aujourd’hui d’autres pays les partagent et il est important que ces pays les défendent auprès de ceux qui ne les ont pas encore adoptées, la Chine étant l’une des trois sociétés les plus illibérales de la planète, avec l’Arabie saoudite et la Corée du Nord. Depuis les périodes Nixon et Carter, les États-Unis ont compris qu’ils avaient intérêt à favoriser la libéralisation de la société chinoise et à promouvoir la défense des droits de l’homme. Je parle volontairement de la libéralisation d’abord et ensuite seulement des droits de l’homme. Les deux questions, bien sûr, sont liées, mais les droits de l’homme sont inscrits dans le droit international. La Chine étant signataire de la plupart des textes qui s’y réfèrent, la défense des droits de l’homme relève tout simplement du respect des engagements internationaux, qui s’impose à tous les membres des Nations unies.
Ma quatrième priorité serait le maintien de ce qu’on appelle la politique d’« une seule Chine ». Taïwan est un sujet extrêmement sensible qui doit être géré de manière constructive et prudente dans l’intérêt des 24 millions de Taïwanais auprès desquels les Américains sont engagés de longue date et pour la stabilité dans la région. Le cadre a été tracé par Kissinger et Nixon puis formalisé par Jimmy Carter en janvier …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles