« Commissaire gentilhomme » : c’est en ces termes que la présidente de la Commission de Bruxelles Ursula von der Leyen désigne celui qui dirige l’Économie de l’Europe, en référence aux manières affables et policées de cet homme politique issu du Parti démocrate italien, mais aussi à ses origines aristocratiques. Paolo Gentiloni Silveri est comte. Un ancêtre, Ottorino Gentiloni Silveri, a été conseiller du pape Pie X et a donné son nom au « pacte Gentiloni » conclu entre libéraux et catholiques en 1913.
En Italie comme en Europe, Paolo Gentiloni (67 ans) est un navigateur averti de la politique. Après une jeunesse militante dans l’ultra-gauche et des débuts dans le journalisme, il se rapproche des écologistes, puis devient en 1993 porte-parole du maire de Rome Francesco Rutelli, futur ministre de la Culture. Il fonde avec lui la Marguerite, formation catholique de gauche.
En 2006, ministre des Télécommunications dans le gouvernement de Romano Prodi, il croise le fer avec Silvio Berlusconi, le magnat des télévisions privées. Député à plusieurs reprises, il devient en octobre 2014 le ministre des Affaires étrangères de Matteo Renzi. Il le restera jusqu’en décembre 2016 avant de lui succéder au poste de premier ministre quand ce dernier démissionne au soir de l’échec de son référendum constitutionnel. Paolo Gentiloni restera au Palais Chigi (le Matignon italien) jusqu’à la victoire des populistes de Salvini aux élections législatives de mars 2018. Contraint de céder sa place à Giuseppe Conte, il se met en retrait.
Un an plus tard, Giuseppe Conte propose sa candidature à Ursula von der Leyen pour représenter l’Italie à la Commission de Bruxelles : il en est aujourd’hui le seul membre ancien premier ministre.
En pleine pandémie, avec le Français Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, il signe le 5 avril 2020 dans Le Monde une tribune qui enfonce un coin dans le dogme monétaire de l’Allemagne : « Aucun État européen ne dispose des moyens propres lui permettant de faire face seul au choc de la pandémie », affirment-ils en appelant à une « mobilisation historique » de l’Europe pour relever le défi économique et sanitaire. Ils invitent à créer une dette européenne commune, qu’on appellera bientôt les « coronabonds » : « L’accès à la liquidité est la clé absolue », proclament-ils.
« En six mois, devant la pire des crises, nous sommes passés du refus du partage des risques à la solidarité. Cela montre qu’aussi inachevé et fragile qu’il soit, le projet européen est plus fort que les divisions », explique Gentiloni. Être parvenu à faire accepter par les Allemands le principe d’un endettement commun n’a pas été une mince affaire : « Si nous utilisons bien la dette pour financer le plan de relance et si nous la remboursons convenablement, l’Europe aura fait un grand pas en avant », dit-il.
Une telle initiative de la part de cet homme circonspect et conciliant, tout en rondeur, a surpris. Prise sans consultation préalable des états-majors européens, la tribune libre de Paolo Gentiloni et Thierry Breton a fait l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière bruxelloise. Le 21 juillet 2020, le Conseil européen a adopté le plus grand plan d’urgence économique de son histoire, le programme « Next Generation EU », fort de 750 milliards d’euros.
R. H.
Richard Heuzé — En février 2021, Mario Draghi — que certains décrivent comme l’« homme des miracles » — a pris les rênes du gouvernement italien à un moment particulièrement critique : plongé en pleine crise sanitaire, le pays doit faire face à un déficit public de 12 % et à un endettement supérieur à 160 % du PIB. Lorsque le président Sergio Mattarella a fait appel à lui pour succéder à Giuseppe Conte, avez-vous été surpris ?
Paolo Gentiloni — Absolument pas. En cette période très difficile, vous l’avez dit, Mario Draghi a mis à la disposition de l’Italie son capital de compétences, sa réputation internationale et sa longue expérience politique — une expérience que certains ont tendance à sous-estimer. Car, pour se maintenir à la tête d’une institution comme la Banque centrale européenne (BCE) pendant huit ans (de 2011 à 2019), il faut, outre des connaissances techniques, une sacrée dose de sens politique ! C’est un atout de taille pour l’Italie. Mais le présenter comme l’« homme des miracles » n’est pas lui rendre service. D’abord, parce qu’il n’y a pas d’« homme miraculeux ». Et ensuite, parce qu’en politique il ne faut jamais nourrir d’attentes déraisonnables.
R. H. — Reconnaissez quand même qu’il réunit sur sa personne des qualités utiles…
P. G. — « Utiles » est un euphémisme ! Je dirais que ces qualités sont fondamentales pour permettre à l’Italie de jouer en Europe le rôle qui lui revient de droit et que, souvent, elle n’a pas pu exercer en raison d’une instabilité gouvernementale chronique.
R. H. — Vous avez souvent fustigé l’incapacité de l’Italie à utiliser les fonds structurels européens. En ira-t-il différemment cette fois-ci ? Y aura-t-il un meilleur suivi lorsqu’il s’agira d’appliquer le plan de relance européen, le programme « Next Generation EU » (1) ?
P. G. — Fustigé mais aussi vécu! N’oubliez pas que j’ai été des deux côtés. Certes, je suis aujourd’hui commissaire à Bruxelles, mais j’ai également été aux commandes dans mon propre pays. L’Italie et l’Espagne sont traditionnellement les deux pays qui ont eu le plus bas taux d’absorption des fonds structurels. Cela tient à la fois à des disparités régionales et à des structures administratives défaillantes. Or l’Italie percevra avec le programme « Next Generation EU » quelque 191,5 milliards d’euros d’aides sur cinq ans, plus d’un quart du total. À cause de ce montant très élevé de ressources disponibles et compte tenu de la gravité de la crise, l’Italie a l’occasion de faire mentir cette réputation (2).
R. H. — De nombreux gouvernements doutent que l’Italie puisse devenir vertueuse du jour au lendemain. Ont-ils raison de se montrer sceptiques ?
P. G. — Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un problème spécifiquement « italien ». La Commission a souvent formulé des recommandations très précises à l’attention de divers pays. Dans plus de la moitié des cas, ces recommandations n’ont malheureusement pas été suivies d’effets. Par rapport aux autres pays, l’Italie a un handicap supplémentaire : depuis une vingtaine d’années, elle connaît une croissance trop faible. Espérons que le plan de relance européen lui procurera un sursaut d’énergie qui lui permettra de renouer …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles