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L’Irak sous la loi des milices

Rabaa Allah est la dernière-née des 64 milices chiites irakiennes. En réalité, elle n’est que le faux nez d’une autre organisation beaucoup plus importante et parmi les plus pro-iraniennes du pays, les Kataëb Hezbollah (les Phalanges du Parti de Dieu). Mais, comme les Kataëb Hezbollah sont intégrés à l’État, qu’ils bénéficient de ses largesses et ont accès à des postes importants, ses responsables ne peuvent pas s’en prendre trop directement aux autorités sans risquer d’être sanctionnés. Il revient donc à Rabaa Allah, littéralement « la clique d’Allah » en dialecte irakien, de menacer le premier ministre Moustafa al-Kazimi chaque fois que celui-ci prend des initiatives ou qu’il prépare des projets qui vont à l’encontre des intérêts de Téhéran ou de ceux des milices.

Le 25 mars 2021, quand Moustafa al-Kazimi a proposé de reprendre le « dialogue stratégique » (1) avec Washington, Rabaa Allah a aussitôt mobilisé des dizaines de camionnettes remplies d’hommes cagoulés et armés qui ont défilé en plein cœur de Bagdad pour s’y opposer. Les déclarations ont été sans ambigüité : « Nous avons sorti nos hommes et nos fusils pour envoyer un message de menace (...) à l’occupant américain et au gouvernement [irakien] collaborateur », a déclaré un responsable, lui aussi cagoulé, du groupe armé en lisant un communiqué. Puis, il a appelé le Parlement à voter le budget 2021 au plus vite — les négociations achoppent depuis des mois sur la question des conditions d’attribution au Kurdistan de sa part du budget fédéral — et à regonfler la valeur du dinar qui a récemment perdu 25 % —, un coup dur pour la République islamique d’Iran qui, asphyxiée par les sanctions américaines, voit en son voisin irakien un pourvoyeur de devises particulièrement accommodant.

Rabaa Allah ne fait pas que menacer. Dans la seule capitale irakienne, la milice pro-iranienne a déjà incendié une télévision, le siège d’un parti kurde et conduit des raids punitifs contre des vendeurs d’alcool. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à se livrer à ce genre d’intimidation. Elle est simplement encore plus radicale que les autres, ce qui n’est pas étonnant puisqu’elle a été créée dans le but d’accomplir les besognes les plus basses.

L’Irak à l’heure des milices

L’Irak vit donc à l’heure des milices. Elles sont souvent en conflit les unes avec les autres, s’affrontent parfois les armes à la main pour des questions de territoire, d’influence, de racket ou de trafic. Mais toutes sont financées par l’État et regroupées au sein d’une organisation commune : les Forces de la mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi, FMP pour le sigle français), une structure très décentralisée (chaque milice possède son propre leader et son propre commandement), qui compte entre 120 et 150 000 hommes avec un budget de 2,2 milliards de dollars. Elles dessinent un labyrinthe complexe à travers tout l’Irak, ce qui, en l’absence de commandement unique, contribue à leur impunité. Souvent, on ne sait à laquelle attribuer un assassinat, un enlèvement ou la répression sanglante d’une manifestation. Un point commun à toutes : elles luttent pour assurer leur domination sur la population chiite. Ce qui les sépare, c’est …