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Retard de croissance en Europe : réconcilier Keynes et Schumpeter

Je suis un Européen convaincu, né et enraciné à la frontière franco-allemande et présent à Maastricht il y a trente ans. Aujourd’hui, nous faisons face aux conséquences de la pandémie de Covid-19 qui se matérialisent par une reprise en ordre dispersé, avec un net retard économique de l’Europe par rapport aux États-Unis. Pourquoi l’Europe, qui a mieux géré l’aspect sanitaire de la crise, voit-elle ainsi les États-Unis encore creuser l’écart ? Pour trouver le bon traitement, nous devons d’abord poser le bon diagnostic.

Le diagnostic : l’Europe est un poids lourd économique, mais elle manque de vitesse

Rappelons d’abord nos incontestables succès. Le poids économique de l’Europe repose sur un triptyque sans équivalent ailleurs dans le monde : notre marché unique, notre monnaie unique et notre modèle social et environnemental. Nous devons nous appuyer sur ces trois atouts, qui constituent notre identité commune. Premièrement — grâce à nos pères fondateurs et à Jacques Delors (1) — nous partageons en Europe un grand marché unique. Il supprime la plupart des frontières intérieures et les obstacles réglementaires à la libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes dans l’Union européenne. Ce n’est pas pour rien que l’accès au marché unique a été au cœur des débats sur le Brexit. Deuxièmement, grâce à Helmut Kohl, à François Mitterrand et à de nombreux autres, nous avons bâti une nouvelle monnaie solide : l’euro est un succès unique, reconnu dans le monde entier et soutenu par une large majorité de citoyens européens (79 %) (2). Troisièmement, notre modèle social commun combine un niveau d’inégalité plus faible et un plus haut niveau de services publics : appelons-le Soziale Marktwirtschaft en allemand et rendons hommage à la social-démocratie ainsi qu’aux démocrates chrétiens. Ce modèle se préoccupe de plus en plus de l’environnement et, à cet égard, l’Europe est clairement en avance. En ce XXIe siècle, le monde, à commencer par sa jeunesse sur les différents continents, a besoin de nos valeurs européennes.

Mais avons-nous la puissance pour projeter ces valeurs ? En physique, la puissance correspond au produit du poids par la vitesse. Collectivement, nous disposons du poids mais la vitesse nous fait défaut. Il faut donc évoquer notre retard structurel en termes de croissance. Ce retard est particulièrement manifeste avec la Chine mais les États-Unis sont davantage comparables avec l’Europe. Cette démarche s’inspire de celle d’Alexis de Tocqueville : « Ce n’est pas (...) seulement pour satisfaire une curiosité, d’ailleurs légitime, que j’ai examiné l’Amérique ; j’ai voulu y trouver des enseignements dont nous puissions profiter » (3). Tocqueville a écrit ces mots il y a deux siècles et il comparait les institutions démocratiques. Aujourd’hui, nous, Européens, pouvons être fiers de nos traditions démocratiques. Toutefois, au cours des vingt dernières années, le différentiel de croissance entre les États-Unis et la zone euro s’est accentué.

En données cumulées, entre 1999 et 2019, l’écart du PIB en volume s’élève à 20 points de pourcentage. Si l’on considère le PIB par habitant, il s’établit à 7 points de pourcentage au cours de la même période. Avant la crise de la Covid, le contraste était également prononcé …