À en croire un cliché rebattu, la Corée du Sud serait le « pays du matin calme » (1). Il n’y a pas d’image plus fausse. Avec ses chaînes de production tournant jour et nuit, ses innovations scientifiques et techniques à flot continu, ses créations culturelles toujours plus alléchantes, le creuset coréen est en fusion permanente. Cette effervescence se manifeste aussi en politique. Voilà trente ans que les Sud-Coréens ont congédié la dictature militaire pour se convertir à la démocratie. Mais cette mue dans la douleur n’a pas bien cicatrisé. Entre invectives, trahisons et scandales, leurs élus naviguent à vue et s’échouent souvent, avec comme seules issues la démission, la prison, voire le suicide (2). La présidentielle de mars 2022 n’a pas calmé le jeu, bien au contraire.
Une campagne « Squid Game »
Lancée sur Netflix, la série coréenne Squid Game a marqué la rentrée 2021 (3). Mettant en scène une poignée d’anti-héros prêts à jouer leur vie pour remporter une mystérieuse compétition et surtout décrocher une fabuleuse récompense, elle a frappé les téléspectateurs par sa férocité et son cynisme affichés. Le climat de la campagne présidentielle qui débutait au même moment n’étant pas moins délétère, la tentation était grande de rapprocher les deux événements. Les médias n’y ont pas résisté (4). De fait, l’élection qui s’est achevée le 9 mars au soir par la victoire au finish du conservateur Yoon Seok-yeol sur le démocrate Lee Jae-myung (5) fut l’une des pires que les Sud-Coréens aient connues : hargneuse, impitoyable, affligeante.
Persuadés, à tort ou à raison, que les deux principaux candidats(6) n’étaient pas au niveau, les médias comme l’opinion se sont très vite désintéressés de leurs programmes, comme si le projet de Lee Jae-myung d’instaurer un revenu universel minimal valait celui de Yoon Seok-yeol, classiquement conservateur. Ne restaient donc que les polémiques à se mettre sous la dent. Peu importe que, d’origine modeste, Lee ait gravi un à un les échelons de la réussite jusqu’à devenir gouverneur du Gyeonggi — la principale région du pays — et qu’il ait plutôt bien géré la crise sanitaire ; il n’est question que de ses fréquentations louches, des opérations immobilières où ont trempé ses proches et du comportement hautain de son épouse. Même chose pour Yoon, que sa détermination à combattre la corruption au plus haut niveau a propulsé à la tête du parquet : on ne s’intéresse qu’à ses contradictions et à ses faux pas.
Il faut dire qu’il les a multipliés. Lui qui avait bâti sa réputation en se montrant inflexible avec les puissants de tout bord, y compris les anciens présidents conservateurs Lee Myung-bak et Park Geun-hye, qui ont fini en prison, comment comprendre qu’une fois nommé procureur général il se soit concentré sur des enquêtes à charge contre l’équipe du président démocrate, si ce n’est pour lancer sa propre candidature à l’élection présidentielle ? Comment admettre qu’il ait fait condamner le ministre de la Justice Cho Kuk pour plagiat et affairisme alors que sa propre épouse, suspectée …
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