Il est maintenant communément admis que le principal objectif de Poutine, dès son accession à la présidence, est d’effacer la catastrophe de 1991 et de restaurer la grande puissance russe telle qu’elle était aux beaux jours de l’époque soviétique. Ce qu’on voit moins, c’est que la réalisation de ce projet est profondément tributaire de l’analyse que l’on fait au Kremlin des causes de l’effondrement de l’URSS et du désastre gorbatchévien. Si, au début, le facteur économique était pris en compte, au fur et à mesure que Poutine a renforcé son pouvoir une interprétation purement kgbiste de cet événement va s’imposer. Pour comprendre cette évolution, il faut remonter au début de l’année 1977, lorsque Vladimir Krioutchkov, alors adjoint d’Andropov, soumet à son chef un rapport intitulé « Les projets de la CIA pour recruter des agents parmi les citoyens soviétiques ».
Transmis au Politburo le 24 janvier 1977, ce rapport révélait une stratégie d’ensemble de la CIA visant à saboter l’administration, le développement économique et la recherche scientifique soviétiques. Il affirmait que la CIA formait des taupes qu’elle espérait voir parvenir aux plus hauts postes de l’URSS (3). Ce rapport fut déterré par Krioutchkov, devenu le chef du KGB, lors d’une session secrète du Soviet suprême le 23 juin 1991. Il accuse alors à grand fracas un certain nombre de responsables d’être des agents d’influence américains, à commencer par Alexandre Yakovlev, l’un des principaux conseillers de Gorbatchev, qui mit en œuvre la politique de glasnost, et Oleg Kalouguine, général du KGB mis à la retraite anticipée en 1990 (en 1995 il s’installe aux États- Unis) ; tous deux ont fait des études à Columbia au début des années 1960. Ce coup d’éclat de Krioutchkov, qui poussera à l’action les pustchistes malencontreux d’août 1991, restera gravé dans les mémoires des officiers de la Loubianka. Et quand le KGB se sera remis des turbulences de l’ère Eltsine, il essaimera avec son bagage intellectuel dans toutes les structures de l’État et du business russe. Par touches successives, ces kgbistes vont s’efforcer de mettre en œuvre, sous le haut patronage de Vladimir Poutine, un vaste projet : refaire de la Russie une grande puissance capable de se passer du monde extérieur.
La genèse du concept de « démocratie souveraine »
La caste tchékiste arrivée au sommet de l’État dans le sillage de Poutine veut prendre le contre-pied de l’ancienne nomenklatura communiste du Parti, à laquelle elle reproche d’être restée passive devant la destruction de l’URSS. Elle estime que, pour cela, il faut étouffer dans l’œuf toutes les tentatives d’ingérence malveillante des Occidentaux en Russie. La tragédie de Beslan en septembre 2004
(4) permet à Poutine et à ses idéologues de remettre à l’honneur la thèse de l’« environnement hostile » de la Russie développée par Staline au moment de la grande terreur. Voici les leçons tirées du drame de Beslan par le président russe le 4 septembre 2004 : « Nous avons fait preuve de faiblesse. Et les faibles se font rosser. Certains veulent nous …
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