Parmi les anciens oligarques qui ont fui la Russie, Sergueï Pougatchev, 59 ans, autrefois à la tête de la banque Mejprombank, de chantiers navals à Saint-Pétersbourg et de mines de charbon en Sibérie, occupe une place à part. Il est, en effet, l’un de ceux qui ont contribué à l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 1999. Il avait défendu sa candidature auprès de l’ancien président Boris Eltsine, démissionnaire, qui cherchait un successeur et auprès de la fille de ce dernier, Tatiana Diatchenko. Surnommé le « banquier du Kremlin », Sergueï Pougatchev a entretenu des rapports amicaux avec le maître du Kremlin pendant les premières années de son règne. Mais les relations avec le président russe ont commencé à se détériorer lorsque l’oligarque Igor Setchine, patron de l’entreprise pétrolière Rosneft et proche de Vladimir Poutine, a tenté de s’emparer de ses affaires. Réfugié en Europe après l’expropriation de son empire industriel et commercial, d’abord à Londres puis à Nice, Sergueï Pougatchev, qui a acquis la nationalité française, est depuis devenu l’un des principaux opposants à Vladimir Poutine.
En 2013, un tribunal de Moscou a ordonné son arrestation. L’ancien oligarque a également été victime de plusieurs tentatives d’assassinat au Royaume-Uni. Depuis plus de dix ans, il est engagé dans une bataille judiciaire interminable avec l’État russe, auquel il réclame 12 milliards de dollars.
I. L.
Isabelle Lasserre — Vous avez été, avec quelques autres, à l’origine de l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine à la fin des années 1990. Quelles sont les qualités que vous lui trouviez à l’époque ?
Sergueï Pougatchev — Ce n’est pas sa personnalité, qui était terne, mais son poste qui m’intéressait. Il avait été chef du FSB. Promouvoir un ancien patron du KGB était le seul moyen, du moins le pensais-je à l’époque, de barrer la route aux putschistes et aux communistes qui voulaient reprendre le pouvoir après les années de démocratie. Vladimir Poutine devait permettre de sauvegarder les institutions démocratiques et je n’étais pas le seul à le penser en cette fin des années 1990.
I. L. — L’avez-vous regretté ?
S. P. — C’est une question un peu provocante… Aujourd’hui, bien sûr que je le regrette… Mais comment aurais-je pu savoir il y a vingt-trois ans que Vladimir Poutine allait devenir un tel monstre ? À l’époque, il était faible et lisse et ne manifestait aucune volonté de faire une carrière politique. Nous le considérions comme une solution temporaire. Il devait rapidement être remplacé par quelqu’un d’autre. Personne n’aurait pu deviner qu’il développerait si rapidement cette ambition et ce goût du pouvoir. Encore une fois, l’objectif prioritaire était d’empêcher le retour des communistes. Je peux vous assurer que la révolution qu’ils réservaient à la Russie aurait été très sombre et je pense que les choses auraient été encore pires qu’elles ne le sont avec Vladimir Poutine.
I. L. — De quand date votre rupture avec Vladimir Poutine et quelle en fut la cause ?
S. P. — La date clé, c’est l’expropriation de mes actifs, qui a commencé en 2013. Mais à vrai dire, il n’y a pas vraiment eu de conflit personnel entre nous, pas de rupture officielle. Nos conceptions ont, en revanche, très vite divergé. Sa vision économique et politique était très différente de la mienne. Quand il était au FSB, on s’en fichait, ce n’était pas grave. Mais quand il est devenu président, c’est devenu problématique.
I. L. — En quoi vos visions respectives divergeaient-elles ?
S. P. — Je pensais qu’il reprendrait à son compte la politique libérale de l’ancien président Boris Eltsine dans les années 1990. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Une fois élu, Poutine a au contraire voulu reprendre les rênes de l’économie et remettre la main sur les entreprises qui avaient été privatisées. Il a appliqué au pays un mélange de communisme et de capitalisme privatisé. Politiquement, alors qu’il était relativement jeune, il avait conservé une vision très soviétique des choses. Il voulait instaurer un contrôle pyramidal sur la nomenklatura et le pays.
I. L. — Quel genre d’homme est-il ?
S. P. — En vingt-trois ans, sa personnalité n’a pas changé. C’est un homme très fermé. Je ne connais personne qui l’ait entièrement compris. Pas même ses enfants, ni son ex-femme. Seconde particularité : il ment tout le temps. C’est sa nature. Ce défaut lui vient-il du KGB …
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