Leopoldo López dit n’avoir jamais envisagé d’autre activité que ce qu’il appelle le service public. Un concept que ce professeur d’économie diplômé de Harvard a mis en pratique aussi bien dans l’enseignement et la recherche, qu’il a exercés à l’Université de Caracas et qu’il reprend aujourd’hui aux États-Unis, que dans ses fonctions au Bureau de planification stratégique de la compagnie pétrolière vénézuélienne. Le service public, c’est aussi et d’abord l’idéal qui l’anime dans sa lutte pour la restauration des libertés au Venezuela. Une lutte qu’il livre d’abord en tant que maire de Chacao (2000-2009) et, après que le régime chaviste l’a déclaré inéligible en 2008, dans l’opposition à Hugo Chávez (président du Venezuela de 1999 à 2013) puis à Nicolás Maduro (son successeur depuis la mort de Chávez).
Cet intérêt pour la chose publique, López l’a en partie reçu en héritage. « C’est vrai que ma famille est très liée au sort de notre pays », observe-t-il en recevant Politique Internationale. Son père a créé et dirigé un système d’aides aux jeunes voulant compléter leurs études à l’étranger, les bourses Gran Mariscal de Ayacucho, distribuées à plus de 100 000 Vénézuéliens. Une arrière-grand-mère et un grand-père ont vécu dix-sept ans exilés ans aux États-Unis.
Un autre arrière-grand-père a été emprisonné quatorze ans sous la dictature de Juan Vicente Gómez (1). « Dans ma jeunesse, j’étais marqué par le fait que quelqu’un puisse aller en prison pour ses idées », se souvient-il. « À l’époque, dans les années 1970, parler de démocratie ou de liberté, c’était comme parler de l’oxygène, d’une évidence : tant que l’on n’en manque pas, on n’en parle pas. »
López est encore étudiant lorsqu’il s’engage pour une cause qui ne suscite pas à l’époque le sentiment d’urgence qu’elle inspire aujourd’hui. À l’université, il fonde avec quelques camarades un collectif écologiste, Active Students Helping the Earth Survive.
« C’était un mouvement d’avant-garde, dit-il, dans l’esprit de Greenpeace. » Et qui existe encore aujourd’hui.
Mais c’est évidemment la conquête de la démocratie qui marque le combat de sa vie. López n’a eu de cesse d’alerter l’opinion sur la lente dérive du chavisme vers un régime de plus en plus autoritaire, qu’il n’hésite pas à appeler dictature dès 2014. Quand certains analystes s’évertuent à décortiquer les aspects de la personnalité d’Hugo Chávez et de Nicolás Maduro qui les auraient conduits à faire de moins en moins cas des libertés publiques et des droits humains, López préfère observer la conjoncture économique. La fin de la manne pétrolière explique bien mieux, selon lui, l’évolution politique du Venezuela que les ressorts psychologiques de ses dirigeants.
Depuis son arrestation en 2014, Leopoldo López a vécu dans sa chair la privation des libertés. Il a connu successivement la prison jusqu’en 2017, l’assignation à résidence pendant deux ans, le refuge à l’ambassade d’Espagne après l’échec du soulèvement contre Nicolás Maduro en avril 2019, puis l’exil à Madrid depuis sa fuite du pays en octobre 2020. López raconte avec le sourire ce dernier épisode, des plus rocambolesques. « À la dernière étape, alors que j’allais franchir le Rio Meta pour passer en Colombie, j’ai été contrôlé par la police. C’est mon masque Covid qui m’a sauvé, il m’a évité d’être reconnu. Nous voyagions à bord d’un véhicule aux couleurs de l’entreprise nationale d’électricité, déguisés en techniciens. J’ai tout gardé en souvenir : mon accréditation, les papiers de l’entreprise, des photos… »
Désormais installé en Espagne avec femme et enfants, il vit à cheval sur deux continents, de par ses activités de recherche au centre Wilson de Washington. Et il semble aussi à l’aise aux États-Unis qu’à Madrid, où il reçoit ses interlocuteurs dans un bureau du centre-ville.
Outre les souvenirs de sa fuite, le dissident a conservé intacte sa foi. Celle de ses convictions chrétiennes, dont témoigne la petite croix de Tau qui ne quitte pas sa poitrine ; mais aussi celle des libertés recouvrées au Venezuela. Leopoldo López est convaincu que ces libertés redeviendront une évidence, un sujet dont il serait, à nouveau, aussi absurde de débattre que de discuter de l’air qu’on respire…
M. de T.
Mathieu de Taillac — Commençons par le commencement, votre entrée en politique. Après des études de philosophie, d’économie et de sociologie, des expériences professionnelles dans la compagnie pétrolière nationale et à l’université, vous vous êtes présenté aux élections municipales de Chacao, l’équivalent d’une mairie d’arrondissement de Caracas. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce pas vers la politique institutionnelle ?
Leopoldo López — À l’université, j’ai participé, avec des professeurs de droit, à un groupe d’enseignants, dont l’objectif était de rédiger une nouvelle Constitution. C’était en 1998. Quand Hugo Chávez arrive au pouvoir en 1999, il annonce son projet d’Assemblée constituante. Je démissionne alors de mon travail pour me présenter à cette assemblée. Mais le système électoral était biaisé. J’ai perdu l’élection et me suis retrouvé sans emploi. C’est à ce moment que j’ai monté un parti politique et que je me suis présenté, en 2000, aux municipales de Chacao, l’une des cinq communes qui forment le District métropolitain de Caracas. Au début, les sondages me donnaient 2 ou 3 % d’intentions de vote. J’ai fait une campagne de porte-à-porte et, contre toute attente, j’ai gagné. En 2004, j’ai été réélu avec plus de 80 % des voix. En 2008, j’ai voulu briguer le poste de maire de Caracas, la fonction élective la plus importante du Venezuela après la présidence de la République, mais j’ai été déclaré inéligible. On m’a purement et simplement exclu du scrutin. J’ai porté l’affaire devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui m’a donné raison trois ans plus tard. En 2012, j’ai voulu concourir à la présidentielle, mais la dictature a confirmé mon inéligibilité et je n’ai pas pu y participer.
M. de T. — À quoi ressemblait le Venezuela d’avant le chavisme, dans lequel la démocratie, dites-vous, était aussi évidente que l’air qu’on respire ?
L. L. — Le Venezuela était alors une référence pour toute l’Amérique latine en termes de démocratie et de prospérité. Mais c’était aussi un pays qui rencontrait les problèmes classiques de la région, la pauvreté et les inégalités. Au début de la période démocratique, qui a duré quarante ans (2), des politiques ambitieuses ont été menées, mais ensuite les réformes se sont enlisées. D’où une tension sociale et une vague de mécontentement qui ont conduit à l’élection de Chávez. À l’époque, le Venezuela était un pays riche en opportunités, ouvert à l’immigration. Les travailleurs venus d’Amérique latine et d’Europe, en particulier d’Italie, du Portugal ou d’Espagne, ont contribué à l’essor de l’agriculture et de l’industrie. Quand Chávez arrive au pouvoir en 1999, il promet le changement, propose une nouvelle Constitution, de nouvelles institutions…
M. de T. — Avez-vous cru à cette promesse ?
L. L. — Oui, bien sûr que j’y ai cru, comme de nombreux Vénézuéliens. Je ne croyais pas en Chávez, mais je croyais qu’il pouvait y avoir une occasion à saisir pour transformer le pays. Dans notre groupe de professeurs, nous étions peut-être parmi ceux qui étaient le plus enthousiastes. Notre projet de Constitution …
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