Les Grands de ce monde s'expriment dans

Réflexions d'un ex-oligarque

Isabelle Lasserre — Quelles sont les principales faiblesses de Vladimir Poutine ? Y a-t-il, chez lui, une fragilité que les Occidentaux devraient exploiter ?

Mikhaïl Khodorkovski — En ce moment, sa principale faiblesse est sans doute son incapacité à accepter l’idée que l’issue de ce conflit est incertaine et qu’il pourrait ne pas offrir une victoire à la population russe. C’est la raison pour laquelle il change régulièrement ses buts de guerre sur le terrain. Sa seconde faiblesse est son entourage. Tous les membres de son clan sont corrompus. La corruption, qui est à la base de son pouvoir, entrave le bon fonctionnement des institutions et des armées. Le monde occidental et l’Ukraine connaissent ces faiblesses et les utilisent. Soit dit en passant, si les forces armées russes n’avaient pas été corrompues, l’Ukraine aurait souffert bien davantage.

I. L. — Le Poutine d’aujourd’hui est-il différent de celui que vous avez connu ?

M. K. — Je ne suis pas psychologue, je ne peux donc pas entrer dans la tête de Vladimir Poutine, ni d’ailleurs dans son monde. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a vingt ans, quand je l’ai rencontré, il était très différent. Il disait alors être attaché aux valeurs européennes et à celles de la démocratie. Aujourd’hui, il prononce des discours fascistes, affirme que la nation ukrainienne n’existe pas, que les valeurs européennes sont erronées et qu’il faut les combattre. L’homme que j’ai connu à l’époque n’aurait pas bombardé Kiev. Il faut comprendre que, pour les gens de ma génération, les Ukrainiens et les Russes étaient intimement liés. Lorsque Poutine bombarde Kiev, c’est pour moi comme s’il bombardait les villes russes. Jamais, à l’époque, je ne l’aurais cru capable de faire une chose pareille. Mais peut-être qu’il a toujours été comme cela et qu’il dissimulait sa vraie nature. Après tout, il ne faut jamais oublier que les officiers du KGB sont entraînés à mentir. Et puis vingt ans de pouvoir absolu et autoritaire à la tête de la Russie, ça peut suffire à dégrader une personnalité…

I. L. — Comment expliquez-vous que certains experts, en Occident, s’obstinent à penser que Poutine peut être « amadoué » ?

M. K. — Certains — il sont nombreux même en France et en Grande- Bretagne — sont corrompus, payés par la Russie. D’autres pensent que la complaisance envers les autocrates est le meilleur moyen de se faire respecter. Ce sont les « idiots utiles » du Kremlin. Car ce n’est pas ainsi que le système fonctionne. Bien au contraire, les autocrates ne respectent leur interlocuteur que s’ils sentent qu’il est prêt à utiliser la force et qu’une guerre plane au-dessus de leur tête. La troisième catégorie est celle des hommes politiques cyniques qui comprennent parfaitement la situation, mais qui n’ont aucun garde- fou éthique ni aucune vision stratégique. Par intérêt personnel ou parce que leur électorat le demande, ils reprennent à leur compte les arguments des idiots utiles du Kremlin. Je pense que leurs noms devraient être rendus …