Ai Weiwei, né à Pékin en 1957, est considéré comme l’un des plus grands artistes contemporains. Mondialement connu pour ses œuvres révolutionnaires sur le plan tant artistique que politique, il est devenu une figure prééminente de l’opposition au pouvoir chinois. Se définissant lui-même comme « postimpressionniste », il revendique sa filiation avec Van Gogh. La peinture lui a permis d’échapper à la réalité communiste qui, dit-il, était pour lui un « désastre permanent ». Son père, Ai Qing, fut un proche de Mao Zedong et le poète chinois le plus prisé jusqu’à sa disgrâce en 1957, victime comme tant d’autres de la campagne « antidroitiers ». « En Chine, le pillage des richesses foncières dépasse de loin toutes les autres formes d’accumulation du capital », explique l’artiste pour qui il est clair que les dignitaires du régime, en particulier les « Princes rouges », les enfants des hauts dirigeants, sont corrompus jusqu’à l’os, profitant de passe-droits pour s’enrichir. Depuis son départ pour l’étranger, l’artiste est devenu un militant et un intellectuel influent dont la mission se résume en quelques mots : les valeurs universelles doivent s’appliquer à tous les pays du monde, y compris à la Chine.
P.-A. D.
Pierre-Antoine Donnet — Vous avez vécu aux États-Unis, puis en Allemagne avant de vous installer au Portugal. Racontez-nous ce que vous avez ressenti en tant qu’exilé, artiste et dissident chinois en Occident ? Qu’avez-vous appris au contact des nombreux intellectuels que vous avez eu l’occasion de fréquenter ?
Ai Weiwei — Fondamentalement, je suis en effet un dissident. Pas au sens politique car cela ferait de moi un élément anticommuniste, mais plutôt par la distance que j’observe à l’égard de toute forme d’autorité ou d’autoritarisme. Ce que mon père a vécu a bien entendu beaucoup pesé sur ma vie et sur mon destin. Il avait fait ses études à Paris dans les années 1930 puis, de retour en Chine, il a été jeté en prison par les autorités communistes. Pour être plus exact, il a été arrêté une première fois par les nationalistes du Guomindang qui l’avaient condamné à six ans d’emprisonnement. L’année de ma naissance, en 1957, les communistes l’ont relégué dans le nord-est de la Chine puis, plus tard, dans la région du Xinjiang. Au total, mon père a passé vingt ans en exil intérieur, et moi, j’ai grandi avec pour environnement immédiat des camps de rééducation. J’ai passé cinq ans dans une sorte de trou creusé dans la terre. Mon père était forcé de nettoyer les toilettes publiques. C’étaient là les conditions les pires qu’un être humain pouvait endurer. Il n’était pas mieux loti qu’un animal. En vivant dans cet enfer quotidien, j’ai réalisé à quel point une société peut devenir violente, irrationnelle et inhumaine. Peu à peu a germé dans mon esprit le désir de quitter la Chine pour voir autre chose. Et j’ai opté pour les États-Unis.
P.-A. D. — Le contraste avec la Chine communiste était saisissant…
A. W. — Une fois arrivé dans ce pays, je me suis mis à étudier les arts. Mais j’ai très vite compris combien il était difficile, voire impossible pour un jeune étudiant chinois qui parlait mal l’anglais de survivre. J’arrivais à gagner quelques poignées de dollars pour payer mon loyer, mais c’était très dur. Je me suis alors rendu compte que le capitalisme ne valait guère mieux que le communisme dans le registre de l’humanisme. Certes, vous êtes libre de critiquer qui vous voulez devant quiconque veut bien vous écouter. Libre de fréquenter les boîtes de nuit, de rencontrer qui bon vous semble. Mais le capitalisme s’accompagne d’une forme de brutalité qui, dans une certaine mesure, est comparable à celle du communisme. Bien que la vie dans ce pays fût beaucoup plus facile, je ne m’y sentais pas très à l’aise. C’est pourquoi, au bout de douze années, moi qui pensais ne jamais revenir en Chine, j’ai pris la décision d’y retourner. Mon père était alors gravement malade, et je me suis dit que c’était là la dernière occasion de le voir. Et j’y suis resté vingt- deux ans !
P.-A. D. — En vingt-deux ans, vous avez été le témoin d’un développement économique sans précédent, mais …
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