Où va l'Allemagne d'Olaf Scholz ?

n° 178 - Hiver 2023

L’arrivée au pouvoir d’Olaf Scholz, le 8 décembre 2021, fut tout sauf un saut dans l’inconnu. Après quatre mandats à la tête de l’Allemagne, Angela Merkel laissait la place à celui qui, pendant trois ans, avait été son ministre des Finances et son vice-chancelier. La continuité était évidente entre l’ancienne présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et son successeur social-démocrate (SPD), deux pragmatiques rompus à l’art du compromis, cultivant l’un et l’autre un style d’une absolue sobriété. À la tête d’une coalition tripartite rassemblant les Verts et les libéraux (FDP), le nouveau chancelier se présentait comme un réformateur prudent, soucieux de moderniser l’Allemagne, mais sans intention de la bousculer.

Deux mois et demi après cette transition en douceur, la guerre en Ukraine a tout chamboulé. Le 22 février 2022, au lendemain de la reconnaissance de l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk par Vladimir Poutine, Olaf Scholz annonçait la suspension d’un des projets les plus controversés du règne d’Angela Merkel, le gazoduc Nord Stream 2, que l’ex- chancelière avait obstinément défendu malgré l’opposition des États-Unis et de plusieurs pays européens, inquiets de voir Berlin accroître sa dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou. Cinq jours plus tard, soixante-douze heures après l’invasion de l’Ukraine, le nouveau chancelier allemand annonçait à la tribune du Bundestag un « tournant historique » (Zeitenwende) en matière de politique de défense, symbolisé par l’allocation d’un « fonds spécial » de 100 milliards d’euros pour la modernisation de la Bundeswehr.

En moins d’une semaine, la page des « années Merkel » était tournée. Des années marquées par une volonté de maintenir coûte que coûte de bonnes relations avec la Russie et un clair refus de faire de l’Allemagne une puissance militaire de premier plan. Au pouvoir depuis moins de trois mois, Olaf Scholz endossait un rôle qu’il n’avait pas prévu : celui du gestionnaire de crise, contraint de remiser le prudent agenda de réformes sur lequel il avait été élu pour répondre en urgence aux immenses défis posés par une guerre mettant à rude épreuve le « modèle allemand ». Un modèle dont le succès, depuis la fin des années 1990, reposait sur l’importation à bas prix de matières premières et d’énergies fossiles, notamment en provenance de Russie, et sur l’exportation de produits à haute valeur ajoutée vendus à l’étranger avec de fortes marges.

Défense, énergie, comptes publics : la coalition des grandes contorsions

Qui aurait imaginé qu’un chancelier social-démocrate, membre d’un parti de culture pacifiste et dont le nom reste attaché à l’Ostpolitik de Willy Brandt, serait l’homme du réarmement de la Bundeswehr et de la rupture avec Moscou ? Qui s’attendait à ce que l’entrée des Verts au gouvernement s’accompagne de la construction de terminaux géants de gaz naturel liquéfié (GNL), de la réouverture d’une vingtaine de centrales à charbon et d’une prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires ? Qui pouvait prévoir que le retour au pouvoir du FDP, parti se présentant comme le gardien scrupuleux de l’orthodoxie budgétaire, conduirait le gouvernement à …