Peu de pays ont été amenés à réviser leur politique étrangère et de défense aussi profondément que l’Allemagne après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Un terme résume cette remise en cause : celui de Zeitenwende (« changement d’époque »), utilisé par le chancelier Olaf Scholz à la tribune du Bundestag, le 27 février 2022, trois jours après le début de la guerre.
Plus d’un an s’est écoulé depuis, et beaucoup s’interrogent sur les changements en cours en Allemagne ainsi que sur la personnalité du successeur d’Angela Merkel, qui reste encore mal connue à l’étranger, en particulier en France. Afin de nous éclairer sur ces questions, nous avons souhaité interroger le député social-démocrate Nils Schmid (SPD). Ancien ministre de l’Économie et des Finances du Land de Bade-Wurtemberg (2011-2016), il est, depuis 2017, membre du Bundestag et porte-parole du groupe social-démocrate pour les questions de politique étrangère. Âgé de 49 ans, proche du chancelier, il fait partie des responsables politiques allemands dont l’expertise est la plus reconnue sur les questions diplomatiques et internationales. Européen résolu, il est également co-président — avec la députée française Brigitte Klinkert (Renaissance, Haut- Rhin) — du bureau de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, créée en 2019 et qui réunit, au moins deux fois par an, cinquante députés issus de l’Assemblée nationale et autant de membres du Bundestag.
T. W.
Thomas Wieder — Le 27 février 2022, trois jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Olaf Scholz a prononcé devant le Bundestag un discours que tout le monde s’est accordé à reconnaître comme historique. Il y promettait notamment que l’Allemagne allait sortir de sa dépendance au gaz russe, qu’elle allait investir 100 milliards d’euros pour moderniser son armée, dépenser 2 % de son produit intérieur brut (PIB) pour sa défense, conformément à l’objectif fixé par l’Otan à ses membres, et soutenir l’Ukraine militairement face à la Russie. À l’époque, l’opposition conservatrice (CDU-CSU) avait salué ce discours ; mais, depuis, elle est très critique, reprochant au gouvernement de mettre beaucoup trop lentement en œuvre ce qui a été promis ce jour-là par Olaf Scholz. Que répondez-vous ?
Nils Schmid — Sur l’énergie, la question est réglée. Compte tenu de nos liens avec la Russie, le défi était considérable ; et pourtant nous sommes allés très vite : depuis l’automne 2022, nous avons cessé d’importer du gaz russe, et cela sans mettre en péril notre sécurité énergétique puisque nous avons réussi à diversifier très rapidement nos sources d’approvisionnement en gaz, tout en décidant de rouvrir quelques centrales à charbon de façon transitoire. Je crois que, sur ce plan, personne ne peut dire que ce qui a été annoncé par Olaf Scholz le 27 février 2022 n’a pas été suivi d’effet. Au contraire.
Sur les questions de défense, les choses prennent forcément du temps. On ne transforme pas une armée comme la Bundeswehr du jour au lendemain. Le fonds spécial de 100 milliards d’euros a été voté rapidement, des commandes ont déjà été passées, notamment pour acheter des avions de combat F-35 américains afin de remplacer notre flotte de Tornado. Le grand projet de Système de combat aérien du futur, que nous menons à bien avec la France et l’Espagne, avance lui aussi, mais il s’agit d’investissements qui s’étalent sur plusieurs années. L’important est que la dynamique soit enclenchée, que la volonté politique soit là. Et cela, personne ne peut le contester. De ce point de vue, le nouveau ministre de la Défense, Boris Pistorius (nommé en janvier 2023), fait montre de beaucoup de volontarisme, notamment sur le plan budgétaire, pour mettre en œuvre ce processus de modernisation sans précédent de notre appareil militaire. Même l’opposition le reconnaît.
Je vous le concède, il reste des efforts à accomplir en matière de réorientation de notre politique étrangère, surtout pour ce qui est de la perception du rôle de l’Allemagne sur la scène internationale. Là-dessus, nous avons fait d’importants progrès depuis le début de la guerre en Ukraine et le discours d’Olaf Scholz du 27 février. Nos concitoyens le sentent bien, ce qui explique en partie les débats intenses que nous avons sur les livraisons d’armes. Pour nos partenaires étrangers, c’est parfois plus difficile à comprendre, en particulier pour ceux qui souhaiteraient que nous allions plus vite dans la prise de certaines décisions.
T. W. — Le rapport de l’Allemagne à la guerre est-il …
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