Les Grands de ce monde s'expriment dans

La République islamique dos au mur

Entretien avec Reza Pahlavi, fils aîné du dernier chah d’Iran, principal opposant à la République islamique par Michel Taubmann, journaliste, directeur d’ouvrages aux éditions de l’Archipel et éditorialiste politique sur la télévision internationale I24News

n° 180 - Été 2023

Michel Taubmann — En avril dernier, vous avez effectué une visite historique en Israël. Accueilli à la fois par le premier ministre Netanyahou et le président Herzog. C’était la première fois, depuis 1979, qu’une personnalité iranienne se rendait dans ce pays dont la République islamique conteste le droit à l’existence. Quels étaient les objectifs de votre visite ? Quelles en seront les suites ?

Reza Pahlavi — Depuis longtemps, mes compatriotes et moi adressons aux Israéliens et aux Juifs du monde entier notre sympathie, par opposition à la République islamique qui a placé l’antisémitisme au centre de son idéologie, jusqu’à remettre en question la véracité de la Shoah. Ce voyage devait se faire. La révolution en cours en Iran et les témoignages de soutien affluant d’Israël et des différentes communautés juives du monde ont rendu les circonstances plus favorables encore, car Israël est une démocratie et le peuple iranien se bat, lui aussi, pour instaurer une démocratie. Les démocrates de la région doivent donc se parler et se soutenir. Mon épouse et moi y sommes allés ensemble et avons été très touchés de l’accueil que nous y avons reçu. Nous avons été associés aux cérémonies du souvenir de Yom Hashoah et avons pu nous rendre au mur des Lamentations. Je dois rappeler que, selon la Bible, ce mur est celui du second Temple reconstruit à la suite de la libération par Cyrus le Grand, le fondateur de la Perse, des Juifs retenus captifs à Babylone. Selon le Livre d’Ezra, Cyrus déclare avoir reçu de Dieu la mission d’aider les Juifs à reconstruire leur temple en leur mettant tout le nécessaire à disposition. Plus tard, le roi Khashayar — connu sous le nom de Xerxès par les Grecs et Assuérus par les Romains — a épousé Esther, une femme juive, faisant d’elle la reine de Perse, et il a suivi le conseil de celle-ci pour empêcher son vizir Aman d’exterminer les Juifs. Cet épisode est à l’origine de la fête de Pourim célébrée par les Juifs avec beaucoup de joie. Et depuis cette époque, les corps d’Esther et de Mardochée sont enterrés en Iran, à Hamedan. Cette histoire impose des responsabilités évidentes : encourager le dialogue et œuvrer pour la coexistence pacifique.

C’est ce message d’une voie alternative à la guerre que j’ai porté lors de mon voyage auprès du premier ministre Benyamin Netanyahou. Le monde n’est pas condamné à choisir entre la bombe iranienne et le bombardement de l’Iran. Il y a la voie du peuple, la seule capable de changer les choses et de permettre une désescalade significative. Je dois dire que son épouse Sara et lui nous ont chaleureusement accueillis et qu’ils nous ont prêté une sincère attention. Il en est de même du président Isaac Herzog avec qui j’ai pu renouveler ce message de paix. À la suite des accords d’Abraham (1), de nombreux Iraniens et Israéliens se sont mis à rêver des accords de Cyrus. Je souhaite, et j’espère, que ce voyage en aura posé la première pierre.

M. T. — S’agissait-il de votre premier séjour en Israël ? Avez-vous appris beaucoup de choses que vous ignoriez sur ce pays ? Quel fut le moment le plus émouvant de votre visite ?

R. P. — Le moment le plus émouvant et en même temps le plus éprouvant fut la visite du mémorial de Yad Vashem. Aucun homme sensé sur cette terre ne peut ignorer l’existence de la Shoah, et les mots me manquent pour décrire ce que j’ai pu y ressentir. Un célèbre avocat, récemment disparu, Georges Kiejman, parlait de « désastre le plus inimaginable de la pensée humaine ». Il y a quelque chose de terrifiant et d’inconcevable à se dire que la haine a conduit des hommes à organiser avec des méthodes bureaucratiques l’extermination d’un peuple tout entier. Ces faits ont donné lieu à la création de la notion de crime contre l’humanité. Et nous sommes tous cette humanité, nous devons donc tous nous sentir concernés et enseigner aux jeunes générations que la haine doit être combattue tous les jours et sans relâche.

M. T. — Quel a été l’écho de cette visite à l’intérieur de l’Iran ?

R. P. — Des milliers de gens du monde entier m’ont dit que ce voyage lançait un message très fort à l’adresse du régime. En effet, il a permis de rappeler que si la République islamique s’efforce de créer du conflit, les Iraniens s’efforceront toujours de construire des passerelles avec les autres peuples.

M. T. — Avant ce voyage en Israël, vous avez été invité à la conférence internationale de Munich sur la sécurité. Vous êtes sans doute l’opposant le plus connu au régime islamique iranien. Vous l’êtes à l’étranger et aussi, selon le sondage publié par le très sérieux institut Gamaan, le plus populaire à l’intérieur de l’Iran : 33 % des personnes interrogées souhaitent vous voir jouer un rôle dans une éventuelle transition démocratique. Êtes-vous le chef de l’opposition démocratique ? Comment concevez-vous votre rôle ?

R. P. — Mon rôle a toujours été clair et je continuerai de le jouer : j’agis pour fédérer le peuple iranien autour des idées démocratiques et séculières. Je mets à sa disposition l’assise que m’offre ma notoriété et mon histoire personnelle pour relayer sa voix et j’encourage toutes les forces démocratiques à se rassembler. Je continuerai de faire tout mon possible jusqu’au jour où l’Iran sera libre et où les Iraniens auront voté en faveur d’une Constitution démocratique par la voie d’un référendum. Ma mission sera accomplie ce jour-là.

M. T. — Israël est sans doute le seul pays au monde dont un autre pays, la République islamique, nie, à travers des propos incendiaires constants, le droit à l’existence. Les Israéliens, toutes tendances confondues, sont décidés à empêcher l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire. Plusieurs scénarios d’intervention sont sur la table. Quelle serait votre réaction en cas d’opération militaire israélienne ?

R. P. — Je condamne par avance tout scénario de guerre. La guerre n’apportera aucune solution. Elle …