Les Grands de ce monde s'expriment dans

Netanyahou ou la rupture du consensus

Gideon Sa’ar, 56 ans, juriste de formation, fut longtemps présenté comme le dauphin de Benyamin Netanyahou. Après l’avoir servi entre 2009 et 2014 comme ministre de l’Éducation et de l’Intérieur puis vice-premier ministre, il a rompu avec son mentor au point de se présenter contre lui aux primaires du Likoud avant les élections législatives de 2020. Il est aujourd’hui allié de Benny Gantz à la tête du parti de centre droit « Le camp de l’État », donné favori dans la plupart des sondages en cas d’élections anticipées.

Michel Taubmann — Vous incarniez l’aile droite du Likoud. Que s’est-il passé depuis dix ans en Israël pour que vous vous retrouviez ces derniers mois dans les rues, aux côtés de sympathisants de gauche, à manifester contre le gouvernement d’union des droites formé par Benyamin Netanyahou en janvier 2023 ?

Gideon Sa’ar — En tant qu’homme de droite et libéral, je me sens totalement à ma place au milieu des foules pacifiques et déterminées du samedi soir. J’y côtoie beaucoup de mes anciens amis du Likoud ainsi que des religieux modérés. La gauche seule n’aurait pas pu rassembler, chaque semaine, les plus grandes manifestations de l’histoire d’Israël : un habitant sur quatre y a participé ! La gauche dans ce pays est devenue ultra- minoritaire. Le parti travailliste est réduit à une force marginale : 5 députés sur 120 dans l’actuelle Knesset. L’autre parti de gauche, Meretz, faute d’avoir franchi le seuil d’éligibilité des 3,25 %, n’est même plus représenté au Parlement ! En fait, un grand nombre d’anciens électeurs de ces partis se retrouvent désormais dans le centre gauche de Yaïr Lapid et, dans une moindre mesure, dans le centre droit que je dirige avec Benny Gantz. En dix ans, le paysage politique a été complètement bouleversé. Le clivage gauche-droite a cédé la place à une opposition entre démocratie libérale et démocratie illibérale. Désormais, le partage des eaux passe au cœur du Likoud dont une forte minorité des électeurs désapprouve l’action du gouvernement.

Gérard Benhamou — Quelles sont les lignes de fracture ?

G. S. — Netanyahou et son nouveau gouvernement ont rompu le consensus qui rassemblait l’immense majorité de la société juive israélienne, gauche et droite confondues, sur trois questions fondamentales :

- le refus de la participation au gouvernement de l’ultra-droite raciste, les anciens disciples du rabbin Kahane qui avaient applaudi à l’assassinat du premier ministre Rabin en 1995 ;

- le maintien d’un équilibre datant de la naissance d’Israël et fondé sur la tolérance réciproque entre laïcs et religieux ;

-l’équilibre entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique qui fait d’Israël la « seule démocratie du Proche-Orient ».

La volonté de mise au pas de la Cour suprême, conséquence de la mainmise du pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire, est évidemment contraire au principe de la séparation des pouvoirs sur lequel reposent toutes les démocraties. Cette « réforme judiciaire » a dressé contre la coalition une majorité d’Israéliens, viscéralement attachés à la démocratie libérale.

M. T. — Une majorité d’Israéliens contre la coalition au pouvoir ? Sauf erreur, cette coalition a remporté les élections du 1er novembre 2022 et dispose de 64 sièges sur 120 à la Knesset…

G. S. — Je ne remets pas en cause le résultat des élections. Je veux juste souligner qu’une partie des électeurs du Likoud restent attachés à la tradition de la droite libérale incarnée jadis par Begin et Shamir. Selon tous les sondages, la coalition actuelle serait largement battue si des élections avaient lieu aujourd’hui. D’ailleurs, le résultat …