Il souffle un vent de morosité outre-Rhin. Il n’y a pas si longtemps, l’Allemagne suscitait pourtant l’admiration — certes parfois teintée de jalousie ou d’agacement — de ses voisins. On enviait sa prospérité économique insolente et sa stabilité politique étonnante. On célébrait son indéboulonnable chancelière, saluée à droite pour son attachement à l’orthodoxie budgétaire et à gauche pour sa politique migratoire généreuse. Au cœur d’une Europe frappée de fièvre populiste et d’angoisse décliniste, l’Allemagne impressionnait autant qu’elle rassurait par son côté « force tranquille ».
Tout cela paraît bien loin aujourd’hui. Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, les Allemands ont perdu leurs repères. Ils avaient durablement sous-investi dans leur politique de sécurité et de défense, et la guerre était de retour à deux heures de vol de Berlin. Ils avaient joué l’apaisement avec Vladimir Poutine, et celui-ci envoyait ses chars à l’assaut d’un État souverain au mépris de toutes les règles du droit international. Ils avaient misé sur le gaz russe à bon marché pour faire tourner leur industrie, et ils découvraient du jour au lendemain à quel point ils s’en étaient dangereusement rendus dépendants.
Ébranlé dans ses fondations en 2022, le « modèle allemand » a continué à vaciller en 2023. Plombée par la flambée des prix de l’énergie et par l’atonie de la croissance chinoise, l’Allemagne est le seul pays du G7 à avoir connu une récession l’année dernière. Selon les prévisions publiées en octobre 2023 par le ministère de l’Économie, le produit intérieur brut (PIB) devrait avoir reculé de 0,4 %.
Pour relancer l’activité, le gouvernement misait notamment sur le « fonds pour le climat et la transformation de l’économie », mais son invalidation par la Cour constitutionnelle fédérale, le 15 novembre 2023, créant un trou de 17 milliards d’euros dans le budget 2024, prive Berlin d’une importante marge de manœuvre ; or cette marge est nécessaire à l’Allemagne pour effectuer les investissements dont le pays a besoin afin de rattraper son retard en matière de transition écologique et numérique (1).
Face à ces difficultés, une expression a fait sa réapparition dans le débat public : l’Allemagne serait redevenue « l’homme malade de l’Europe », comme l’a titré l’hebdomadaire britannique The Economist en août 2023, vingt-quatre ans après avoir publié un article sous le même titre, qui avait fait grand bruit à l’époque. Exagérée pour certains observateurs, qui mettent en avant la qualité du tissu industriel allemand et sa capacité à innover dans certains secteurs-clés comme l’automobile, cette expression pointe cependant plusieurs faiblesses structurelles : une dépendance toujours très forte vis-à-vis de l’étranger, notamment de la Chine, malgré une stratégie de derisking (« atténuation des risques ») qui n’est pour l’instant que balbutiante ; un manque préoccupant de main-d’œuvre, en dépit de la volonté affichée d’attirer des travailleurs qualifiés étrangers (il en faudrait 400 000 par an, selon le gouvernement) ; une bureaucratie d’un autre âge, qui pèse lourdement sur les investissements.
Ce contexte morose a poussé les instituts allemands de conjoncture, …
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