En 1995, l'Indonésie fêtait en grande pompe le 50e anniversaire de son indépendance. Au pouvoir depuis bientôt trente ans, le président Suharto était alors à l'apogée de sa gloire (1). Non content d'avoir extirpé son pays du sous-développement économique chronique dans lequel il avait stagné depuis l'indépendance, le vieux leader pouvait s'enorgueillir de l'unité politique renforcée de cet archipel que caractérisent une géographie atomisée et une culture très diversifiée (2).
Apte à mêler la ruse et la force, à diviser avec cynisme pour mieux régner, le président Suharto n'hésitait pas à écraser toute velléité d'opposition. Sans états d'âme. C'est ainsi qu'il avait su imposer une stabilité apparemment sans faille à une société plongée, fin 1965, dans cette épouvantable guerre civile qui lui avait permis d'arracher le pouvoir des mains de Sukarno, père de la nation, et de proclamer l'Ordre Nouveau.
Parallèlement, il avait également réussi à hisser l'Indonésie - considérée au départ comme l'un des pays les moins avancés au monde - dans le club des sept "économies asiatiques hautement performantes", marquées par ce phénomène de développement accéléré que la Banque mondiale avait imprudemment qualifié, deux ans plus tôt, de " miracle de l'Asie orientale " (3).
Quasiment sacralisé grâce à une propagande efficace et érigé en " père du développement national ", Suharto se préparait donc, selon un rite bien établi, à briguer, en candidat unique, un septième mandat quinquennal successif de président, devant un Parlement soumis. Ce dernier devait se réunir au début de 1998, soit quelques mois après les élections législatives programmées pour la mi-1997.
Bref, alors que la croissance économique enregistrait en 1995 un taux record de 8,2 % et que le pays célébrait dans la liesse - et une unanimité de façade - un demi-siècle de liberté, Suharto semblait bel et bien sur le point de gagner son pari : faire rentrer l'Indonésie dans le XXIe siècle avec le statut de puissance intermédiaire en phase de décollage économique. Tout ce bel édifice allait s'effondrer tel un château de cartes...
Cinq ans plus tard, alors que la page du siècle vient de se tourner, l'Indonésie émerge à peine d'une crise économique, sociale et politique dévastatrice qui aurait déjà pu entraîner son implosion pure et simple. Entre-temps, la tempête financière asiatique a frappé et - par la combinaison d'un environnement économique international défavorable et de circonstances politiques internes aggravantes - a mis le pays à genoux, en faisant resurgir ses vieux démons de séparatisme et d'instabilité.
Partie de Thaïlande début juillet 1997 - trois mois après que le pouvoir de Jakarta eut gagné les élections haut la main -, la crise financière a ravagé, en quelques semaines, une économie indonésienne dont personne au monde n'avait imaginé qu'elle fût à ce point vulnérable. La croissance économique, et le progrès social que celle-ci permettait, n'étant plus au rendez-vous, le régime autoritaire a perdu subitement toute légitimité.
Le 21 mai 1998, devant la pression populaire croissante et le déchaînement des violences, Suharto dut se résoudre à la démission, deux mois …
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