Ministre-président de Bavière depuis 1993, deux fois vainqueur aux élections régionales de 1994 et 1998 (52,9% des voix), Edmund Stoiber a su redonner à la CSU des scores dignes de ceux de Franz-Josef Strauss jadis. Alors même qu'en 1994 le grand parti bavarois paraissait à bout de souffle, il a entrepris sa modernisation à pas de géant, sans renier ses valeurs chrétiennes et terriennes traditionnelles. En 1996, l'Union chrétienne-sociale arrachait aux socialistes les mairies de Regensburg, Erlangen, Kempten, Nuremberg et Furth. En raison du jeu des coalitions, la CSU n'a pu obtenir le poste de bourgmestre de Munich. Mais elle forme le groupe le plus important au sein du conseil municipal de la métropole bavaroise. Pour maintenir ce cap, Stoiber a décidé l'an dernier de porter la durée de la législature bavaroise de quatre à cinq ans. «Notre objectif, a-t-il dit, est de préserver la force de la Bavière et de prendre d'assaut Berlin.» C'est au lendemain de la défaite législative du 27 septembre 1998 que Theo Waigel, président de la CSU et ministre fédéral des Finances de Kohl, avait transmis son sceptre à Edmund Stoiber. Depuis la mise en accusation d'Helmut Kohl, en novembre 1999, dans une affaire de caisses noires destinées au financement occulte de la CDU, Stoiber est, plus que jamais, la locomotive de l'opposition allemande. Mais il estime qu'il ne faut pas se disperser en discussions oiseuses sur la candidature chrétienne-démocrate à la chancellerie: «Attendons, en 2002, le sifflet du coup d'envoi.»
Ascétique, élégant, l'oeil bleu et un reste de blondeur dans ses cheveux cendrés, le dirigeant bavarois s'exprime avec le minimum requis d'accent local pour être l'élu des «sudistes», mais sa diction est assez pure pour plaire aux «nordistes». Le chef de la CSU est l'antithèse incarnée de son père spirituel, Franz-Josef Strauss qui, au nord de la ligne Rhin-Main, passait pour exotique. Comme Strauss, c'est un «fort en thème», docteur en droit avec mention très bien, haut fonctionnaire passé à la politique par son sens du possible, travailleur infatigable très exigeant envers ses coéquipiers. Il a la réputation, parmi tous les ministres-présidents allemands, d'être celui qui connaît le mieux ses dossiers. Il lui manque ce côté baroque et un rien mégalo qui faisait le charme douteux de Strauss. Moins emporté et plus logique, il est aussi plus clair dans ses analyses et propos que ne l'était son illustre prédécesseur. Enfin, ce qui ne gâte rien, c'est un homme enclin au dialogue, qui sait écouter et répondre, parfois, avec humour.
Jean-Paul Picaper - Monsieur le Ministre-Président, il y a seulement quelques décennies, la Bavière était un Etat agraire un peu à la traîne. Vous gouvernez aujourd'hui la région d'Europe où le niveau de vie est le plus élevé, devenue terre d'élection des technologies de pointe. Votre Land surclasse les autres Länder allemands à tous points de vue : croissance plus vigoureuse, taux de chômage inférieur, énergie meilleur marché, endettement très faible, écoles et universités très performantes, etc. Ne serait-il pas temps que l'Allemagne élise un chancelier bavarois ?
Edmund Stoiber - Ce n'est pas d'une importance capitale pour la Bavière. Nous sommes très conscients des performances que nous avons réalisées. Peu importe d'où viendra le prochain chancelier. Ce qui compte, c'est que la Bavière ait des ministres-présidents et des gouvernements forts, capables de faire valoir ses intérêts, tant en Allemagne qu'en Europe. L'Allemagne, je ne vous apprends rien, n'est pas un Etat aussi centralisé que la France. Or, dans une structure fédérale, le rôle du chancelier est moins décisif que celui du premier ministre ou du président de la République en France.
J.-P.P. - Que pensez-vous du chancelier Gerhard Schröder ?
E.S. - Je le connais depuis de longues années. Nous avons coopéré et nous nous sommes affrontés dans le cadre de la Conférence des ministres-présidents (1), ainsi qu'au Bundesrat (2). C'est un excellent acteur, comme nous n'en avons pas eu depuis des années. Le problème, c'est qu'il n'a pas l'étoffe d'un chancelier. Il s'intéresse au pouvoir en tant que tel et ne pense qu'à le conserver au lieu de s'en servir pour mettre en pratique certaines idées. Schröder ne s'est jamais fait remarquer par sa vision à moyen terme, comme en témoigne le sauvetage de l'entreprise Holzmann (3). Tout ce qu'il recherche, c'est les applaudissements du public. Il se trouve que, dans nos sociétés médiatiques, la superficialité l'emporte souvent sur les projets de longue haleine susceptibles de transformer la société.
J.-P.P. - Le gouvernement allemand s'est installé, l'été dernier, à Berlin. Vous qui êtes l'un des plus ardents défenseurs du fédéralisme allemand, ne craignez-vous pas un retour en force du centralisme ?
E.S. - L'Allemagne a seize capitales régionales, autant que de Länder. Berlin n'est que le primus inter pares parmi les grandes villes allemandes. Berlin n'est pas Paris et ne le deviendra jamais. La capitale fédérale ne jouera jamais le même rôle que Paris en France, ou Londres en Angleterre. Je pense, d'ailleurs, que Berlin devrait devenir un peu plus... bavarois. D'une manière générale, j'estime que la décentralisation est une chance dans l'Europe d'aujourd'hui. Dans le monde entier, l'avenir appartient aux petites unités. L'intégration européenne et la suppression des frontières en Europe enlèvent à l'espace national une partie de ses fonctions de protection des citoyens. L'européanisation et la mondialisation croissantes vont rendre aux régions toute leur importance, j'en suis persuadé. Chez nous, les Länder sont des lieux d'identité : si les gens ont des problèmes, ils vont trouver leur gouvernement régional. Les problèmes sont locaux, et les solutions …
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