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LE CERCLE DE FEU CAUCASIEN

Vaut-il mieux accepter la tutelle de la Russie ou conquérir son indépendance, même au prix d'une guerre meurtrière? Telle est la question qui, depuis près de deux siècles, taraude le peuple tchétchène. Quatre mois après le début des hostilités, le dilemme, pour ces Tchétchènes, est encore plus cruel: leur faut-il continuer à vivre avec l'ancienne puissance coloniale, qui n'a cessé de les martyriser, de les massacrer et de les déporter, ou doivent-ils plutôt céder à la loi des émirs qui promettent de plonger le pays dans la terreur et l'obscurantisme religieux?

La guerre actuelle est la quatrième du genre, sans compter d'autres épisodes tout aussi douloureux: les déportations (au XIXe siècle, puis en 1944 sur ordre de Staline, qui accusait les Tchétchènes, ainsi que les Ingouches, les Balkars, les Meskhètes et les Tatars de Crimée de «collaborer» avec l'ennemi allemand); la résistance aux armées blanches de Denikine en 1918-1919; et la lutte contre les Bolcheviks triomphants en 1920. A travers leur histoire tourmentée, les Tchétchènes ont su se forger une conscience nationale basée sur une sorte de «communauté de souffrance». Il est intéressant de constater que deux des quatre guerres ont eu lieu après la fin du système communiste, sous le régime de celui qui, au moment de sa démission le 31 décembre 1999, fut unanimement salué comme le «père de la démocratie russe». C'est à croire que rien n'a changé depuis Nicolas Ier, quand le général Ermolov rapportait à son empereur: «Il n'existe pas sur cette terre un peuple plus dérangeant, ni plus fourbe, ni plus bandit que mes “chers” Tchétchènes» ...

Après la défaite des troupes fédérales lors de la première guerre russo-tchétchène de l'époque post-soviétique (1994-1996), la Tchétchénie a acquis une indépendance de fait. Mais ce nouveau statut n'a eu que peu d'incidences sur ses relations avec Moscou: elle est demeurée fortement intégrée à l'économie russe, aux circuits financiers comme aux réseaux politiques. L'indépendance tchétchène était avant tout symbolique: elle n'a pas été reconnue par la communauté internationale; la frontière qui la séparait de la Fédération était largement formelle; les citoyens tchétchènes ont conservé leurs anciens passeports; et 90% de l'économie locale est restée tournée vers la Russie. A bien des égards, la Tchétchénie était plus proche de la Russie que les autres régions sécessionnistes apparues dans l'espace post-soviétique ne l'étaient de leur pouvoir central respectif (l'Abkhazie par rapport à la Géorgie, le Karabagh vis-à-vis de l'Azerbaïdjan, la Transnistrie de la Moldavie). Le développement de relations d'«affaires», sur fond de ventes d'armes et de blanchiment d'argent sale, entre les dirigeants de la Tchétchénie «indépendante» et certains groupes moscovites ont accentué cette dépendance.

A qui profite la guerre ?

Une guerre électorale

Le 4 novembre dernier, Elena Bonner, l'épouse du défunt militant des droits de l'homme Andreï Sakharov, expliquait devant le Congrès des Etats-Unis que si la première guerre de Tchétchénie avait été déclenchée pour faire gagner Eltsine à l'élection présidentielle de 1995, l'objectif de la seconde consistait à assurer la victoire de Vladimir Poutine, son dauphin officiel. …