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LETTONIE: LOIN DE MOSCOU

Petit pays de 2,5 millions d'habitants, la Lettonie a recouvré son indépendance en 1991, en même temps que la Lituanie et l'Estonie. Dans les années 80, ce sont les pays Baltes qui furent à la tête des revendications indépendantistes les plus affirmées dans l'URSS de l'époque. Depuis huit ans, le peuple letton fait montre d'une très grande vitalité, tant est puissant son désir d'affirmer son identité nationale et de sortir, une fois pour toutes, de l'orbite russe. Le premier objectif des autorités fut de restaurer des institutions démocratiques. Dans la foulée des premières élections législatives (juin 1993), la Constitution d'avant-guerre fut remise en vigueur. Mais personne ne choisit ses voisins, et la Lettonie doit composer avec la présence, à ses frontières orientales, de l'immense et instable Russie. La population de la Lettonie est, de surcroît, composée d'un tiers de Russes, soit 800 000 personnes, dont la plupart ne parlent pas le letton. La cohabitation avec cette forte minorité ethnolinguistique n'est pas aisée. Au plan militaire, c'est seulement en octobre 1999 que la Russie a restitué à la Lettonie la dernière installation militaire qu'elle contrôlait encore sur son territoire, une station radar. Enfin, depuis août 1998, la crise financière russe pèse lourdement sur l'économie lettone.

Après plusieurs années de contraction de son activité (1991-1994), résultante des réformes indispensables à l'assainissement de l'économie nationale, la Lettonie s'était engagée dans un cycle de très forte croissance économique. En 1999, la crise russe l'a fait replonger dans la récession. La reprise devrait, certes, être au rendez-vous en l'an 2000. Mais, en attendant, le pays est confronté à une situation budgétaire difficile, à un lourd déficit des finances publiques et à une grogne sociale croissante.

Le 8 juillet 1999, dans l'espoir d'accélérer la dé-russification du pays, le Saeima (Parlement) a adopté un projet de loi qui restreint l'usage du russe dans les lieux publics (écoles, etc.) et dans la vie économique. Riga s'est immédiatement attiré les foudres de la Commission européenne et de l'OSCE, qui lui ont demandé de mieux veiller au respect des droits des minorités ethniques. Dans un esprit de conciliation, la nouvelle présidente lettone, Mme Vaira Vike-Freiberga, a accepté de ne pas promulguer cette loi. L'élection de cette femme de caractère, le 17 juin 1999, à la tête de l'état letton, a donné un nouvel élan au pays. Invitée, en décembre à Helsinki, à entamer des négociations d'adhésion avec l'Union européenne, la Lettonie possède de nombreux atouts pour réussir cette transition rapidement. Riga, petit bijou d'architecture hanséatique qui rappelle la conquête du pays par l'Ordre teutonique, se pose en capitale moderne et dynamique qui s'apprête à rejoindre la communauté de destin des peuples européens. Car, pour la Lettonie, seule l'intégration à l'Union européenne et à l'Organisation du traité de l'Atlantique-Nord permettra de garantir véritablement le respect de son indépendance enfin reconquise.

Pierre-Antoine Donnet - Madame la Présidente, lors du sommet européen d'Helsinki, les 10 et 11 décembre 1999, la Lettonie a été officiellement invitée par l'Union européenne à entamer des négociations d'adhésion (1). Comment voyez-vous leur déroulement dans les années à venir ?
Vaira Vike-Freiberga - La Lettonie est prête à commencer ces négociations qui, selon nos informations, pourraient démarrer vers le mois de mars 2000. Mon pays sera alors en mesure d'ouvrir quinze chapitres (2) simultanément. Notre équipe de négociateurs est déjà en place et nos délégations poursuivent leurs contacts à Bruxelles. Ainsi, pas moins de cinquante experts lettons du système agricole s'y sont rendus récemment. Vous le voyez : le dialogue est déjà engagé.
P.-A.D. - Quel serait, à vos yeux, le calendrier idéal pour l'entrée effective de la Lettonie dans l'Union européenne ?
V.V.-F. - En ce qui nous concerne, nous estimons que nous serons prêts à la fin de 2002. Techniquement, le processus de ratification pourrait donc commencer dès le 1er janvier 2003. A la condition, bien sûr, que l'Union européenne soit capable, pour sa part, de progresser au même rythme que les pays candidats. Car nombre d'entre eux sauront satisfaire rapidement aux critères d'adhésion objectifs définis à Copenhague (3).
P.-A.D. - En d'autres termes, la Lettonie pourrait rattraper son retard et rejoindre les pays dits de la «première vague» qui, comme la Pologne, ont entamé les négociations dès 1998 (4). Ne péchez-vous pas par excès d'optimisme ?
V.V.-F. - Nullement. La Lettonie se sent prête à s'élancer sur la voie rapide et à progresser aussi vite que possible. Il se trouve que, avant même l'invitation de Bruxelles, nous avions déjà commencé nos préparatifs sans attendre décembre 1999. Or nous ne voyons aucun obstacle susceptible d'entraver cette dynamique préparatoire à l'adhésion.
P.-A.D. - Souhaitez-vous que votre pays adhère à l'Union européenne en même temps que les autres Etats riverains de la Baltique - Estonie, Lituanie, Pologne ?
V.V.-F. - Nous pensons que les négociations doivent être menées en fonction des capacités de chacun. Nous ne souhaitons pas que tel ou tel de ces pays vienne freiner tous les autres. Cela étant dit, la stabilité de cette région gagnerait à ce que les trois pays Baltes accèdent à l'Union européenne sensiblement au même moment. Pas nécessairement le même jour et à la même heure, mais à peu près à la même époque. L'Europe, dans son ensemble, y gagnerait (5).
P.-A.D. - Pour la Lettonie, que représente, aux plans symbolique et pratique, l'adhésion à l'Union européenne ?
V.V.-F. - Les deux aspects ont leur importance. D'un point de vue disons, philosophique ou humain, il s'agit pour nous d'un retour en Europe. Géographiquement, nous ne l'avons jamais quittée, mais la division du continent par le Rideau de fer nous en a séparés pendant un demi-siècle. La conséquence, c'est que la Lettonie est restée, bien malgré elle, à l'écart des transformations qui se sont produites à l'Ouest. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la vie s'est arrêtée chez …