Les Grands de ce monde s'expriment dans

POUR UNE ALLEMAGNE SOCIALE

Le 11 mars 1999, Oskar Lafontaine renonçait à ses fonctions de ministre des Finances, de président du Parti social-démocrate (SPD) et de député au Bundestag. Cette triple démission causa un choc sans précédent en Allemagne. Du jour au lendemain, le chancelier Gerhard Schröder se retrouvait privé d'un allié certes incommode, mais qui savait rassembler le parti derrière lui.

Boîte à idées du SPD, dont il avait pris la présidence à la faveur d'un «putsch» interne en 1995, Oskar Lafontaine avait remis le parti en ordre de bataille pour le conduire à la victoire aux législatives du 27 septembre 1998. Durant la campagne, la répartition des rôles entre les deux hommes avait fonctionné à merveille: Schröder le «modernisateur» attirait les électeurs du «nouveau centre», tandis qu'Oskar Lafontaine le «traditionaliste», partisan d'une relance keynésienne et défenseur des acquis sociaux, rassurait la base du parti.

Pour le gouvernement rouge-vert encore novice que dirigeait Schröder, le départ de son allié-rival marqua un tournant décisif. Rompant avec la généreuse politique sociale que Lafontaine avait inspirée durant les premiers mois, son successeur au ministère des Finances, Hans Eichel, imposa un sévère plan de restrictions budgétaires de 30 milliards de marks (près de 100 milliards de francs). Dans le même temps, Gerhard Schröder, le mal-aimé des militants qui était toujours resté en marge du SPD, dut revêtir les habits de président et de rassembleur du parti, abandonnés par Lafontaine.

Ce dernier devenait, à 55 ans, le plus célèbre retraité d'Allemagne. Le plus flamboyant des politiciens allemands, l'ancien ministre qui regorgeait d'idées de réformes (tant pour l'économie allemande que pour les finances mondiales), l'homme qui fut maire de Sarrebruck à 33 ans, ministre-président de Sarre pendant 15 ans et candidat - malheureux - du SPD à la chancellerie en 1990, se retirait dans sa maison de Sarrebruck.

S'il a pris du champ, Oskar Lafontaine n'en continue pas moins à suivre de près la politique allemande et internationale. Il a publié un livre (1) dans lequel il énonce quelques-unes des raisons de son départ: les suites de l'attentat qui faillit lui coûter la vie en 1990, le manque de temps qu'il pouvait consacrer à sa famille et, surtout, l'impossibilité de collaborer sereinement avec Gerhard Schröder, une fois les deux hommes installés au pouvoir. L'ambitieux Lafontaine, qui avait caressé l'espoir d'être à nouveau candidat à la chancellerie en 1998, avait dû s'effacer devant le très charismatique Gerhard Schröder. Très vite, il a souffert de son statut de numéro deux, soumis à des décisions souvent prises sans son aval.

Pour la première fois, dans cet entretien à Politique Internationale, Oskar Lafontaine émet pourtant quelques signaux annonciateurs d'une possible réconciliation, observant que le gouvernement Schröder fait parfois, ces derniers temps, du Lafontaine sans Lafontaine ...

Lorraine Millot - Le 27 septembre 1998, après 16 ans de gouvernement Kohl, le SPD remportait, sous votre présidence, la victoire aux législatives. Quelles ont été vos premières pensées au soir de ce succès ?
Oskar Lafontaine - Je me suis dit que nous allions devoir nous atteler à la tâche sans tarder, afin de mettre en oeuvre notre programme de gouvernement. Et que ce ne serait pas facile. J'étais engagé en politique depuis trop longtemps pour verser dans le pathos et l'euphorie. Je sais que la politique consiste à « percer des planches très épaisses », comme on dit en allemand. Mais sans céder à l'euphorie, il ne faut pas tomber dans l'extrême inverse. Car en l'absence de sentiments et d'émotions, on n'arrive à rien non plus. Une politique social-démocrate doit reposer sur une utopie qui, au-delà de la raison, parle aussi au coeur des militants.
L.M. - Comment expliquer que votre tandem avec Schröder, qui avait si bien fonctionné durant la campagne électorale, ait éclaté dès votre arrivée au pouvoir ?
O.L. - Pendant la campagne, nous avions prétendu qu'il était impossible de glisser une feuille de papier entre nous deux. Je m'étonne que les commentateurs n'aient pas davantage relevé l'ironie de la formule. Il était pourtant de notoriété publique que nos caractères, nos parcours politiques et nos convictions étaient très différents. Notre coopération a tenu tant que Schröder était candidat à la chancellerie et que j'étais président du SPD. A compter du moment où Schröder est devenu chancelier, le pacte que nous avions passé n'a plus été respecté.
L.M. - Vous avez dépeint Schröder sous les traits d'un homme plein de « charme » mais enclin à l'autoritarisme et à la confrontation. Vous lui reprochiez, notamment, de prendre ses décisions de façon très solitaire. Ce portrait n'est-il pas un peu contradictoire ?
O.L. - Cela vous étonne ? Je m'efforce de décrire les choses telles que je les ai ressenties. Les gens ne sont jamais tout blanc ou tout noir.
L.M. - Comment expliquez-vous sa popularité ?
O.L. - Vous savez, la popularité, ça va ça vient. En trente ans de vie politique, j'en ai moi-même fait l'expérience. J'ai parfois recueilli, au plan régional, des majorités absolues dont rêveraient tous les hommes politiques d'aujourd'hui.
L.M. - Justement, vous avez été candidat à la chancellerie, président du Parti social-démocrate (SPD), ministre des Finances et vous avez nourri d'ambitieux projets de remise en ordre des marchés mondiaux. Comment peut-on, après un tel parcours, se contenter du statut de père au foyer ?
O.L. - Mais je ne m'en contente pas ! J'ai écrit un livre dans lequel le chapitre le plus important, à mes yeux, porte sur les questions financières mondiales. J'y explique que, en l'absence d'une réorganisation des marchés financiers internationaux, une politique social-démocrate n'est plus possible. Notre époque accepte comme une évidence le fait que les détenteurs de capitaux puissent compter sur des rendements annuels de 10 à 20 %, sans rien avoir à faire, alors qu'on …