Les Grands de ce monde s'expriment dans

EL PAPA DEL "CAMBIO"

La cinquième tentative fut la bonne. Après les échecs de 1978 contre le président Senghor, puis ceux de 1983, 1988 et 1993 contre Abdou Diouf, Abdoulaye Wade a réussi son pari: provoquer l'alternance au sommet de l'Etat sénégalais. Reste que, pour se hisser à la tête de son pays, le pape du «sopi» (changement en wolof), comme le surnomment ses compatriotes, a dû franchir de nombreux obstacles.

L'homme est brillant. Son curriculum vitae le prouve. Mathématicien, avocat, agrégé de sciences économiques, ancien doyen de la faculté de droit de Dakar, Abdoulaye Wade abandonne l'enseignement dans les années 70 et entame une carrière de consultant pour le compte de diverses organisations internationales, dont l'Organisation de l'unité africaine et la Banque africaine de développement.

Cependant, aussi éclatante soit-elle, sa réussite professionnelle ne le satisfait pas. Il veut se lancer en politique. Responsable local du Parti socialiste sénégalais à l'amorce des années 70, il rompt avec le président Senghor en 1973, lorsque ce dernier refuse sa proposition de réformer le parti-Etat. Un an plus tard, il fonde son propre mouvement politique: le PDS (Parti démocratique sénégalais), de tendance libérale, mais qui prétendait, à l'époque, s'inspirer du travaillisme anglais.

En 1978, convaincu que Senghor va passer la main à un successeur désigné, au lendemain de l'élection présidentielle, Abdoulaye Wade décide de se présenter contre lui et essuie son premier échec. Néanmoins, la candidature de Maître Wade a marqué les esprits. En affirmant sans relâche sa volonté de créer les conditions du «changement» dans un Sénégal fatigué par vingt années de gestion «senghorienne», il réussit à ancrer l'opposition dans le paysage politique de son pays.

Au cours des années 80, l'audience du fondateur du PDS s'accroît, notamment dans les grands centres urbains. Il galvanise les foules et renforce sa popularité auprès des plus jeunes. Un nouvel échec lors du scrutin présidentiel de 1983, cette fois contre Abdou Diouf, ne le fera pas renoncer à briguer la magistrature suprême. Il tente encore sa chance cinq ans plus tard. Et cette élection de 1988, Abdoulaye Wade a toujours affirmé l'avoir gagnée. A juste titre d'ailleurs. Les cas de fraudes relevés par les nombreux observateurs semblent lui donner raison. Mais le pouvoir socialiste prend prétexte des émeutes qui éclatent au lendemain du vote pour jeter le leader du PDS en prison. Abdoulaye Wade passe alors 71 jours sous les verrous.

Ce scénario aurait pu se reproduire en 1993, lorsque le président Abdou Diouf s'impose derechef au prix d'un scrutin entaché de nouvelles irrégularités. Mais, entre-temps, ce dernier a changé son fusil d'épaule: il demande et obtient de son irréductible opposant sa participation au gouvernement (en 1991-92 et 1995-98). Si bien qu'à la veille de l'élection du 27 février dernier, une question court sur toutes les lèvres: Maître Wade incarne-t-il encore le changement au Sénégal? Le verdict est net et sans appel: Abdoulaye Wade est élu haut la main. Le peuple sénégalais a porté à sa tête un homme dont le courage et la persévérance n'ont jamais été pris en défaut. Sa tâche n'en sera que plus ardue.