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CHILI: L'ODYSSEE DEMOCRATIQUE

Chef de l'Etat chilien depuis le 11 mars 2000, Ricardo Lagos est le premier président socialiste élu dans ce pays depuis la chute de Salvador Allende, renversé il y a 27 ans par le coup d'état militaire du général Augusto Pinochet. Il gouverne au nom de la Concertation démocratique, une coalition de centre gauche qui est au pouvoir depuis dix ans et qui regroupe démocrates-chrétiens et socialistes (1).

Agé de 62 ans, farouche opposant à Pinochet, M. Lagos a joué un rôle fondamental dans le retour de la démocratie. En pleine dictature militaire (1973-1990), le dirigeant socialiste n'avait pas hésité à ébranler la société chilienne. Le 25 avril 1988, en effet, au cours d'une intervention télévisée, M. Lagos avait pointé un index accusateur vers les caméras, exhortant le maître du pays à quitter le pouvoir. Ce geste marqua le début de sa carrière politique. Très vite, cet avocat et économiste formé à l'université de Duke, aux Etats-Unis, s'affirma en tant que leader des forces démocratiques. Président de la Concertation - qui regroupait, dans les années 80, la majorité des partis opposés à la dictature militaire - il fut l'un des politiciens les plus convaincus de la nécessité de participer au plébiscite d'octobre 1988 (2). Consultation qui se solda par un échec du général Pinochet. Deux ans plus tôt, M. Lagos avait été emprisonné à la suite d'un attentat perpétré contre le chef de l'Etat, au cours duquel furent tués cinq gardes du corps du dictateur. Il fut libéré au bout de trois semaines, grâce à une intense campagne internationale.

Bien qu'allié fidèle du président Salvador Allende, il n'occupa pas de poste officiel au sein du cabinet de l'Union populaire (1970-1973). Après avoir été professeur à l'université du Chili, il enseigna, entre 1974 et 1978, à l'université de Caroline du Nord.

Politicien pragmatique, plus enclin au consensus qu'à l'affrontement, Ricardo Lagos, qui est membre de l'Internationale socialiste, se définit comme un social-démocrate. Après le retour de la démocratie au Chili, il fut successivement ministre de l'éducation (1990-1994), puis des Travaux publics, jusqu'à son élection à la présidence de la République le 16 janvier 2000. Il affronta, au second tour, le candidat unique des deux partis de la droite pro-Pinochet, Rénovation nationale (RN) et Union démocratique indépendante (UDI). Ricardo Lagos l'emporta avec 51,32% des suffrages, contre 48,68% des voix à Joaquin Lavin. « Chili, là où naît le futur» : tel est le slogan de son nouveau gouvernement.

Christine Legrand - Monsieur le Président, l'arrivée au pouvoir d'un socialiste signifie-t-elle que la transition démocratique est achevée au Chili ?
Ricardo Lagos - Certainement pas. Le Chili demeure une démocratie imparfaite, avec une Constitution héritée de la dictature militaire. La Concertation n'a pas la majorité au Sénat, bien qu'elle ait gagné toutes les élections depuis dix ans (3). Il y a encore, au sein du Parlement, des sénateurs désignés, et non pas élus. Je veux donc réformer la Loi fondamentale, afin de mettre en place un système électoral dans lequel la majorité sera majoritaire et la minorité minoritaire. Je souhaite aussi que, comme dans toute démocratie, le président de la République ait le pouvoir, s'il le juge nécessaire, de nommer et de relever de leurs commandements les hauts responsables militaires.
C.L. - L'opposition de droite est sortie renforcée de la dernière élection présidentielle, où elle a recueilli près de 49 % des voix. Comment allez-vous faire passer vos réformes ?
R.L. - La droite a affirmé qu'elle souhaitait, elle aussi, une Constitution démocratique. Nous allons donc voir ce qui se passe au Parlement lorsque j'y enverrai mes projets de loi pour adoption. Je crois avoir un avantage et un défi à affronter par rapport aux gouvernements précédents de la Concertation. Sous le gouvernement du président Patricio Aylwin (1990-1994), les élections parlementaires n'ont eu lieu qu'après trois ans. Ensuite, le président Eduardo Frei (1994-2000) a connu un scrutin de ce type après quatre ans de pouvoir. Pour moi, les temps politiques sont différents puisque des élections municipales doivent avoir lieu en octobre prochain et des législatives en décembre 2001 (4). Je parlerai aux gens et leur expliquerai la vérité sur les projets qui me semblent importants pour le pays. Les Chiliens choisiront. Nous sommes en train de retrouver les traditions démocratiques dont le Chili a toujours été fier dans le passé.
C.L. - Mais, encore une fois, comment allez-vous faire accepter une réforme de la Constitution qui a été imposée par les militaires et par la droite ?
R.L. - Les conditions sont favorables. Je ne suis pas sûr de susciter l'adhésion sur tous les points. Mais je suis assez optimiste. Une évolution positive s'est produite lors de la dernière élection présidentielle. Le résultat a été serré et la droite a pris conscience qu'elle pouvait être une force d'alternance. A condition qu'elle améliore son image démocratique.
C.L. - Le candidat de droite à la présidentielle, Joaquin Lavin, a promis de soutenir vos projets de réformes constitutionnelles. Saura-t-il convaincre son camp ?
R.L. - J'aimerais y croire. Au moment des élections, la droite a toujours promis d'entreprendre des réformes. Mais après le scrutin, c'est une autre affaire ...
C.L. - Vous êtes le troisième président de la Concertation de centre gauche au pouvoir depuis le retour de la démocratie en 1990. Quelles sont les priorités de votre gouvernement ?
R.L. - Pour faire court, je dirais : la croissance dans l'équité ; le renforcement d'une culture qui tienne compte de la …