Il est des livres qui causent beaucoup de tort. Les ouvrages de Viviane Forrester en sont un bon exemple (1). Ils ont érigé un être abstrait, le « capitalisme mondial », en responsable de tous les maux de la Terre. Ainsi excusés d'avance de ne pas s'interroger sur leurs propres responsabilités (en particulier celles de leurs dirigeants), les Français se sont encore davantage repliés sur leurs archaïsmes intellectuels et politiques. L'Allemagne a subi la même tentation. Mais le trublion qui l'incarnait - l'ancien ministre Oskar Lafontaine - s'est fait prestement expulser par ses collègues sociaux-démocrates.
Le livre de George Soros, La Crise du capitalisme mondial (2), est encore plus nocif en raison de la personnalité et de la notoriété de son auteur. Economiste de formation (il est passé par la London School of Economics), élève de Karl Popper, financier avisé, spéculateur renommé, symbole médiatique du capitalisme moderne, nul ne doute de sa compétence à parler des marchés, et du marché en général. Qu'un homme de son profil, qui peut se targuer d'avoir fait perdre des milliards à la Banque d'Angleterre (en 1992), consacre 250 pages à dénoncer ce qu'il appelle « l'intégrisme des marchés » pèse infiniment plus lourd que les arguments d'une sociologue même consacrée par le succès. D'où l'impératif, pour un économiste libéral, de ne pas laisser un tel écrit sans réponse.
J'avais de l'estime pour le personnage. Ce que j'ai découvert à la lecture de son livre m'a profondément déçu : une suite de clichés et d'idées fausses sur le libéralisme, qui ne dépareraient pas sous la plume d'un Jean-François Kahn, mais que je ne m'attendais pas à trouver chez un témoin aussi privilégié de la grande mutation des marchés mondiaux. On peut donc être l'acteur d'une révolution et, en même temps, ne rien y comprendre. Tel est le sentiment que m'inspire la prose de George Soros.
Les erreurs de diagnostic du bon Dr Soros
Soros dénonce la mondialisation au nom de deux idées. La première répond à une préoccupation économique. La mondialisation a eu pour conséquence de placer les marchés financiers au coeur des mécanismes de régulation du système économique international. Or, nous dit Soros, ces marchés sont par nature profondément instables. Les soubresauts de ces dernières années en apportent la preuve : crise du Mexique en 1994, crise du Sud-Est asiatique en 1997, tempêtes sur la Russie puis sur le Brésil en 1998. A qui le tour ? On avait fini par oublier ce qu'était une faillite bancaire. Or, depuis que ce mouvement de libéralisation a commencé, jamais le nombre de faillites bancaires n'a été aussi élevé dans le monde.
La seconde idée-force est plus politique et philosophique. Cette instabilité est d'autant plus dangereuse que le triomphe du capitalisme mondial s'accompagne d'un déclin des valeurs collectives qui servent de ciment social. La dictature des marchés financiers renforce les comportements individualistes. La relativisation générale des valeurs, l'absence de toute référence à un bien ou à un mal transcendants, la perte de vue du rôle spécifique dévolu …
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