Initialement situé au carrefour des intérêts de Damas et de Téhéran, le Hezbollah a fortement évolué jusqu'à devenir une organisation essentiellement contrôlée par la Syrie. «C'est une arme iranienne aujourd'hui entre les mains des Syriens», précise même Antoine Constantine, un politologue libanais. Tout commence le 7 juin 1982, lorsque feu le président Hafez el-Assad s'accorde avec une délégation iranienne sur l'envoi d'un millier de Gardiens de la révolution (les célèbres Pasdaran) dans la plaine de la Bekaa. Du côté syrien, on est sensible à l'offre de services iranienne au moment où il s'agit de contrecarrer les visées d'Israël, dont l'armée vient d'attaquer le Liban. Du côté iranien, sous prétexte de «combattre l'ennemi sioniste», on escompte bien profiter du déploiement de ce corps d'élite pour regrouper les islamistes chiites du Liban et établir une tête de pont en Méditerranée. Selon un spécialiste des relations syro-iraniennes, l'intervention iranienne au Liban coûte, à cette époque, entre 15 et 50 millions de dollars par an.
Dans un premier temps, Téhéran avait misé sur le mouvement chiite Amal. Mais celui-ci se montrant insuffisamment docile, les services secrets iraniens ont, très vite, constitué un groupe qui leur est totalement inféodé: le Hezbollah (littéralement, le «parti de Dieu»). Les Pasdaran encadrent les militants de cette nouvelle organisation qui sert bientôt de modèle aux autres Hezbollah (irakien, kurde, afghan...) que l'Iran s'efforce alors de mettre sur pied dans le monde musulman.
Le rôle joué par le Hezbollah libanais contre l'armée israélienne n'est pas négligeable. Par le biais de sa branche armée, il multiplie les attaques suicides contre les troupes de Tsahal et contre les contingents de la Finul (en 1983-84). Ces opérations de commando provoquent de nombreuses victimes et contribuent largement à faire cheminer l'idée d'un retrait du Liban dans l'esprit des Israéliens. Parallèlement, le Hezbollah organise, dans le sud du pays, des sanctuaires à partir desquels il harcèle l'Etat hébreu, malgré l'intense pilonnage de l'artillerie et de l'aviation israélienne.
Mais, depuis 1982, le jeu s'est nettement compliqué. De simple groupe pro-iranien, le Hezbollah s'est mué, au fil des ans, en atout maître de Damas dans l'imbroglio libanais. Car, ne pouvant plus guère miser sur la carte palestinienne que l'invasion israélienne avait sortie du jeu, la Syrie s'est appuyée de plus en plus sur les combattants chiites pour contrer la présence de Tsahal au pays du Cèdre. Du coup, le «parti de Dieu» est devenu un allié de poids dans sa politique de mainmise sur le Liban. Et c'est ainsi que le Hezbollah s'est peu à peu intégré dans la partie complexe qui se joue à Beyrouth, se battant, d'un côté, contre les forces chrétiennes et disputant, de l'autre, les zones chiites aux militants d'Amal, l'organisation chiite majoritaire.
D'un point de vue idéologique, le Hezbollah sera toujours acquis à Téhéran. Sa plate-forme politique prône «la création d'une République islamique au Liban», «la destruction de l'Etat d'Israël» et «l'instauration de la domination islamique sur Jérusalem». Ses chefs spirituels ont été formés dans la ville sainte iranienne de Qom. Enfin, l'essentiel de ses armes et de ses fonds provient du pays des mollahs. Reste que toute aide iranienne doit transiter par la Syrie. Par surcroît, l'armée syrienne étant déployée sur la plus grande partie du territoire libanais - y compris les zones où le Hezbollah est implanté - , nulle action militaire d'envergure ne peut se faire sans l'aval, au moins tacite, de Damas. Aussi la direction du Hezbollah a-t-elle longtemps reflété le délicat équilibre entre les hommes de Téhéran et ceux d'Hafez el-Assad. Mais, aujourd'hui, cet équilibre est rompu au profit de Damas (depuis que la direction du parti Hezbollah est «syrianisée»).
Profondément influencé par le positionnement de ses puissants parrains extérieurs, le Hezbollah a su également évoluer de l'intérieur. Dès 1985, il était sorti de la clandestinité et s'était doté d'une véritable structure politique, le Majlis aç -Choura. Le président iranien Ali Akbar Hachemi Rafsandjani lui ayant demandé, en 1988, d'être «un parti comme les autres», il avait su se restructurer pour triompher en 1992 aux élections législatives. Ce succès, il le doit notamment à la vaste infrastructure sociale qu'il a mise en place et qui repose sur un chapelet d'hôpitaux, de dispensaires et d'écoles disséminés dans les zones où il est le plus présent. Le Hezbollah apparaît, désormais, comme le seul parti de masse libanais, le seul, en tout cas, qui dispose d'écoles de cadres et de relais dans la société, sans oublier une chaîne de télévision très regardée. Cela dit, si le «parti de Dieu» est devenu un vrai parti libanais, avec neuf députés au Parlement, c'est son développement militaire qui retient surtout l'attention des observateurs. Tous les experts israéliens s'accordent, en effet, à reconnaître le professionnalisme de ses guérilleros et la qualité de leur logistique. Le départ de Tsahal du Liban sud leur a donné raison.
Jean-Pierre Perrin et Chantal Rayes - Après 22 années d'occupation, Israël a retiré ses troupes du Liban-Sud. Que va faire le Hezbollah maintenant qu'il n'a plus personne à qui « résister » ?
Hassan Nasrallah - N'allons pas trop vite en besogne ! Attendons d'abord de voir s'il s'agit d'un retrait total ou d'un simple redéploiement. Au bout du compte, c'est à l'Etat libanais qu'il appartient de définir ses frontières, pas au Hezbollah. Or le Liban réclame le retour à la frontière internationale de 1923 (définie par la convention franco-britannique) et considère, à ce titre, que les fermes de Chébaa font partie du territoire national (1). Tant qu'il y aura un pouce de terre libanaise occupé, la résistance aura le droit de continuer un combat dont personne, au Liban, ne conteste la légitimité. Au-delà de la question du retrait, le problème est que l'on ignore les intentions réelles de l'Etat hébreu vis-à-vis du Liban : poursuivra-t-il ses agressions contre notre pays, comme il a menacé de le faire si le nord de la Palestine occupée (la Galilée) est attaqué (2) ? Il est évident que Beyrouth n'est pas en mesure de garantir la sécurité d'Israël ; et si l'Etat hébreu cherche un prétexte pour perpétuer ses agissements, rien ne l'empêche de créer ce prétexte lui-même. Rappelez-vous les événements de 1982. A l'époque, c'était l'OLP qui se trouvait au Liban-Sud. Il n'y avait pas eu, alors, le moindre coup de feu, ni le plus petit tir de Katioucha : l'accord d'armistice passé avec Israël avait été respecté. Et pourtant, au lendemain de la tentative d'assassinat de l'ambassadeur israélien à Londres, et avant même que l'on sache qui en était l'auteur, Tsahal envahissait le Liban, jusqu'à Beyrouth.
J.-P.P. et C.R. - Tout ça, c'est du passé ! Qu'allez-vous faire concrètement après le départ des Israéliens et la mort de votre parrain syrien Hafez el-Assad : quel sera le sens de votre combat à l'avenir ?
H.N. - Je vous le répète : le problème est précisément que nous n'avons aucune garantie en ce qui concerne l'avenir. Israël peut inventer n'importe quel prétexte pour s'en prendre au Liban. C'est pourquoi la mission du Hezbollah ne s'achève pas avec le retrait des Israéliens. En cas de nouvelle attaque de leur part, nous serons les mieux à même de riposter et d'assurer la défense du territoire. C'est notre responsabilité, et nous ne sommes pas près d'y renoncer. Les Israéliens sont prévenus : nous n'accepterons aucune forme d'agression - qu'elle soit terrestre, aérienne ou maritime. Quant à la poursuite des opérations militaires contre Israël, nous en reparlerons en temps voulu.
J.-P.P. et C.R. - N'est-ce pas plutôt à l'armée libanaise d'assurer la défense du territoire ?
H.N. - La marge de manoeuvre d'un mouvement de résistance - surtout lorsque c'est un mouvement populaire, comme le nôtre - est infiniment supérieure à celle d'une armée régulière. Sans compter qu'une confrontation impliquant l'armée peut déboucher sur une guerre régionale. Comprenez-moi bien : je ne dis pas que l'armée …
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