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LE CREPUSCULE DE L'ALS

Le 24 mai 2000, peu avant sept heures du matin, les derniers soldats israéliens évacuent le sud du Liban et referment derrière eux les portes grillagées qui séparent les deux pays. Le retrait précipité de Tsahal, l'armée de l'Etat juif, met ainsi fin à 22 années d'occupation par Israël d'une «bande de sécurité» située le long de la frontière israélo-libanaise.

Cette date marque aussi la disparition de l'Armée du Liban Sud (ALS), commandée par le général Antoine Lahad. Force supplétive de Tsahal dans cette région, l'ALS a compté jusqu'à 2600 hommes armés, entraînés et rémunérés par Israël.

Le vide laissé par les troupes israéliennes et l'ALS a immédiatement été comblé par les forces du Hezbollah, la milice chiite inspirée et financée par l'Iran, et contrôlée par Damas. La majorité des soldats chrétiens de l'ex-ALS et leurs familles, soit près de 7000 personnes au total, ont trouvé un refuge temporaire en Israël. Les ex-miliciens chiites se sont, pour la plupart, rendus aux autorités locales ou au Hezbollah, qui les ont remis à la justice libanaise.

Michel Zlotowski - Avec le retrait des forces israéliennes du Sud-Liban s'achève l'histoire de l'ALS. Que vont devenir vos hommes et leurs familles ?
Antoine Lahad - Pour l'instant, ils sont dispersés dans des campements mis à leur disposition par les autorités israéliennes. Ils y sont bien traités et y attendent de pouvoir émigrer vers le pays de leur choix (Canada, Etats-Unis ou France). Il leur faudra sans doute quelque temps pour obtenir les papiers nécessaires. Mais certains ont choisi de rester en Israël, dans l'espoir de pouvoir un jour rentrer chez eux.
M.Z. - Leur vie serait-elle menacée s'ils rentraient dès aujourd'hui ?
A.L. - Bien entendu, puisqu'il n'y a plus d'Etat au Liban et que nul ne peut garantir leur sécurité.
M.Z. - Vos soldats ne vous rendent-ils pas responsable de leur sort actuel ?
A.L. - Ils ont cru un instant que les autorités israéliennes m'avaient mis dans la confidence et m'avaient prévenu du retrait anticipé de leurs troupes. Mais mes hommes ont vite pris conscience que j'avais été trompé, tout comme eux l'ont été.
M.Z. - Que vous ont dit les dirigeants israéliens ?
A.L. - Dès l'année dernière, j'avais fait part de mon intention de prendre ma retraite. Je vais bientôt avoir 72 ans... Mais au lendemain de son élection, en 1999, le premier ministre israélien Ehud Barak m'a demandé de rester à la tête de l'ALS jusqu'à la fin de l'an 2000. « La situation au Liban sera réglée d'ici là », m'a-t-il affirmé. Deux mois plus tard, le président Bill Clinton a annoncé la reprise imminente des négociations entre Israéliens et Syriens. Je me suis dit que c'était une bonne chose pour la région, un pas décisif en direction de la paix. Puis les négociations ont capoté. Les habitants du Sud-Liban m'ont alors prié de ne pas les abandonner, et je suis resté auprès de mes hommes.
M.Z. - L'ALS était-elle essentiellement composée de chrétiens ?
A.L. - Pas du tout. Elle était le reflet de la réalité libanaise d'aujourd'hui. Plus de 60 % de mes soldats étaient chiites (1)...
M.Z. - Et se battaient contre d'autres chiites, du Hezbollah ceux-là ...
A.L. - Mais ils ne faisaient que défendre leurs terres, leurs maisons, leurs familles ! Nous n'avons jamais attaqué personne, ni les Syriens ni même le Hezbollah. Moi-même, dans tous mes discours, je me suis toujours gardé d'être offensif envers qui que ce soit.
M.Z. - Vous n'êtes pas originaire de cette région. Comment êtes-vous arrivé à la tête de l'ALS ?
A.L. - Je suis né en 1929 dans un village du Chouf, Kfar Atraa, au sein d'une famille maronite de sept enfants. C'était l'époque du mandat français, et j'ai été scolarisé en français, chez les frères maristes. Après des études à l'école militaire de Fayadieh, j'ai été envoyé à La Courtine, dans le Massif Central, pour suivre un cours de commandant de compagnie. C'était en 1958. Puis, à Paris, j'ai suivi la formation de l'école d'état-major et de l'école …