Emmanuel Halperin - Vous avez été parmi les premiers, au sein de la classe politique israélienne, à militer ouvertement pour un retrait de la zone de sécurité au Sud-Liban (1). Vous venez d'avoir gain de cause. Mais n'est-ce pas un pari dangereux que ce repli sur la frontière internationale ?
Yossi Beilin - Toute politique qui modifie un statu quo apparaît comme un pari. Mais le plus dangereux, en l'occurrence, c'était le maintien du statu quo. La situation nouvelle que nous avons créée présente, évidemment, une part de risque. Elle n'en autorise pas moins de grands espoirs.
E.H. - Au cours de ses vingt-deux ans d'existence, cette zone de sécurité a-t-elle jamais été indispensable à la défense d'Israël ?
Y.B. - Non. Mais il faut distinguer deux périodes. Pendant les quatre premières années, c'est la milice du commandant libanais Haddad qui contrôlait la région, sans que nous fussions directement présents sur le terrain. Après la guerre du Liban, et surtout à partir de 1985, Israël a ouvertement pris les rênes dans ce secteur, le nombre de soldats israéliens augmentant à mesure que l'ALS s'affaiblissait. Tant que c'était l'affaire de Libanais qui se considéraient comme proches d'Israël, cette zone avait une certaine raison d'être. Elle l'a perdue par la suite.
E.H. - Selon vous, un Etat doit donc, en règle générale, défendre son territoire à partir de ses propres frontières ?
Y.B. - C'est bien ainsi que je vois les choses. La défense d'un pays ne saurait se fonder sur le contrôle du territoire d'un autre Etat. Ce n'est pertinent ni au plan international ni au plan moral. Pis encore : c'est inefficace. Si cette zone de sécurité avait permis d'économiser des vies humaines, j'aurais pu dire : «Soit, nous avons un problème au niveau international, mais nous sommes avant tout responsables de la sécurité de nos citoyens.» Or, dans les faits, nous nous sommes enferrés dans une situation absurde.
E.H. - Pourquoi ? La zone de sécurité n'a-t-elle pas joué son rôle de protection de la population civile israélienne dans les régions frontalières ?
Y.B. - En 1996, cette zone a obtenu une forme de reconnaissance internationale à la suite de l'opération Raisins de la colère (2) - les fameux « arrangements » dont le respect était contrôlé par une commission à laquelle participaient les Etats-Unis et la France. De quoi s'agissait-il ? Le monde a accepté que, sur ce territoire de quelques centaines de kilomètres carrés, tous les coups soient permis à condition que les règles du jeu soient respectées. C'est-à-dire, essentiellement, à condition qu'on ne tire pas sur les civils. L'Etat hébreu avait le droit de survoler la région, de naviguer dans les eaux territoriales et de tuer ceux qui l'agressaient. Ces forces hostiles avaient, elles aussi, le droit de tuer des soldats israéliens, puisqu'il s'agissait de militaires. Le problème, c'est que cette lutte perpétuelle entre les milices chiites, d'une part, l'armée israélienne et l'ALS, de l'autre, ne pouvait pas se prolonger sans que, à l'occasion, les règles …
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