Les Grands de ce monde s'expriment dans

UN AMERICAIN EUROPTIMISTE

Barbara Victor - L'euro traverse une mauvaise passe en ce moment. Y a-t-il une chance que la monnaie européenne parvienne un jour à concurrencer le dollar ?
Fred Bergsten - Sans aucun doute. Je pense que l'on va progressivement voir émerger un système bipolaire : une sorte de super G-2 avec les Etats-Unis et l'Europe au centre de l'ordre monétaire mondial. Ce qui s'est passé depuis un peu plus d'un an, c'est-à-dire depuis que l'euro a vu le jour, va tout à fait dans ce sens : l'euro est aujourd'hui la première monnaie mondiale pour les émissions d'obligations et c'est paradoxalement l'une des causes de sa faiblesse actuelle. En effet, les entreprises qui empruntent choisissent majoritairement l'euro. Le problème, c'est que le montant global d'obligations en euros qu'elles offrent au marché dépasse la capacité d'absorption des souscripteurs.
B.V. - Ce nouveau système monétaire international sera-t-il plus stable que le précédent ?
F.B. - Tout dépend des politiques qui seront mises en oeuvre. Si les gouvernements ne s'organisent pas pour assurer une gestion responsable de ce nouvel ordre, l'instabilité prévaudra. Nous aurons, en tout cas, deux grandes zones d'importance économique à peu près équivalente, dont le commerce avec le reste du monde ne représentera qu'une part relativement limitée de leurs échanges. La Banque centrale européenne a clairement fait savoir qu'elle n'avait qu'un objectif de prix (l'inflation), et pas d'objectif de change. Autrement dit, l'évolution du taux de change lui est indifférente. Je force peut-être un peu le trait, mais il est certain que le cours de l'euro n'est pas sa préoccupation majeure. La conséquence d'une telle attitude, c'est que nous risquons de voir prévaloir, des deux côtés de l'Atlantique, des politiques de douce négligence (ce que nous appelons en américain le « benign neglect ») qui sont sources d'instabilité.
B.V. - Quel est votre pronostic personnel quant à la stabilité de ce nouveau système ?
F.B. - Les études consacrées à la première année de fonctionnement de l'euro donnent à penser que les mouvements relatifs du dollar et de l'euro sont restés du même ordre que les fluctuations de naguère entre le dollar et le mark. Mon sentiment personnel est que la relation de change dollar/euro sera moins stable que la relation dollar/mark, et qu'elle ressemblera davantage à ce qui se passe traditionnellement entre le dollar et le yen - un modèle de relation entre monnaies dont personne ne conteste qu'il est marqué par une très forte instabilité. Selon toute vraisemblance, nous aurons donc, à l'avenir, un taux de change à la fois plus instable et plus volatil.
B.V. - Ce pronostic concerne-t-il également les autres monnaies ?
F.B. - D'une manière générale, je pense que les taux de change fluctueront davantage. Précisément pour la raison que j'évoquais à l'instant. L'Europe forme un espace économique relativement clos sur lui-même. Il est logique que les pouvoirs publics s'y montrent, désormais, plus préoccupés de surveiller l'évolution du pouvoir d'achat interne de leur monnaie que les variations de sa valeur externe. Moyennant quoi, les …