Les Grands de ce monde s'expriment dans

UN PASSE QUI NE PASSE PAS

En apparence, Klagenfurt est une ville sans passé, un empilement de cubes en béton sans caractère et d'immeubles post-modernes aux parois de verre et de chrome, dérisoires emblèmes d'un avenir que prétend incarner le chef-lieu de la Carinthie. Même les sculptures de bronze qui ornent les carrefours sont sans intérêt et glaciales, dénuées d'âme et de sens, comme si elles avaient été conçues pour n'inspirer aucun sentiment. L'architecture du bâtiment qui abrite le gouvernement régional est encore plus parlante: le palais de Jörg Haider est une structure disgracieuse et tentaculaire, disproportionnée par rapport aux dimensions de la ville, à l'image du nombre de fonctionnaires qui s'y affairent.

Tout comme Klagenfurt fait figure d'exception en Autriche - un pays connu pour ses paysages enchanteurs, ses lacs limpides et ses villages de montagne pittoresques - , Jörg Haider cultive sa différence: symbole de la modernisation de la région, il est le seul homme politique qui entretienne les Autrichiens dans l'illusion que leur pays peut devenir un acteur majeur sur la scène européenne. Haider s'impose par son charisme, que ses supporters n'hésitent pas à comparer au charme hypnotique de Kennedy. Tous louent son habileté politique: le Parti de la liberté (FPÖ), dont il était président jusqu'au printemps dernier, a en effet réussi à rompre le monopole du pouvoir qu'exerçaient conservateurs et socialistes depuis l'après-guerre, et qui empêchait tout changement d'orientation économique ou sociale. Curieusement, en dépit de ses déclarations malheureuses concernant les heures les plus sombres de l'histoire autrichienne, nombreux sont les Autrichiens à ne pas lui tenir rigueur de ses dérapages verbaux et à préférer le juger sur ses actes.

Aux yeux d'un grand nombre d'Autrichiens, Jörg Haider apparaît comme un sauveur. Sa volonté de faire table rase des pratiques politiciennes douteuses («Sous les apparences flatteuses, sont tapies des forteresses politiques bâties sur l'intrigue, la corruption et l'abus de privilèges») lui vaut l'admiration de ses concitoyens. Mais ce qu'il oublie de signaler c'est que, derrière cette croisade contre l'intrigue, la corruption et l'abus de privilèges, il y a un programme pétri de racisme et de xénophobie. Son équipe est composée de jeunes gens aux cheveux courts, portant Rayban et jeans griffés - des idéalistes qui le soutiennent inconditionnellement en dépit de la campagne internationale de boycott lancée contre lui. Pour le moment, la hiérarchie de son propre parti a demandé à Jörg Haider de conserver un profil bas et de se concentrer exclusivement sur sa charge de gouverneur de Carinthie. Il n'en demeure pas moins un personnage politique de premier plan qui n'a certainement pas dit son dernier mot.

Barbara Victor - A vous entendre, Monsieur Haider, vous seriez un grand incompris ...

Jörg Haider - Je n'ai pas l'impression d'être incompris en Autriche, en tout cas ! En réalité, il s'agit d'un problème purement politique. Je suis devenu malgré moi un enjeu pour les sociaux-démocrates allemands et autrichiens. Ce n'est pas un hasard si les attaques dont j'ai été l'objet ont coïncidé avec la campagne de calomnies lancée contre Helmut Kohl. Tout cela a permis à Schröder de grimper dans les sondages. Demandez leur avis aux gens dans la rue : tous vous diront que les alliances entre socialistes et conservateurs n'ont jamais débouché sur rien. Tout était bloqué : l'économie, le progrès social, notre rôle au sein de l'Europe, tout ! Le gouvernement était si peu transparent que les Autrichiens n'avaient aucune idée de ce qui se passait dans leur propre pays. Depuis que mon parti, le Parti de la liberté, a poussé dehors les sociaux-démocrates, ils parviennent enfin à comprendre ce que fait le gouvernement.
B.V. - De quoi les Allemands avaient-ils peur, selon vous ?
J.H. - Je viens de vous expliquer que la seule chose dont les Allemands avaient peur, c'était de compromettre les bonnes relations avec les sociaux-démocrates autrichiens. Le but des Allemands et des Autrichiens a toujours été de cimenter cette coalition.
B.V. - Il n'y a pas que cela. Vous savez très bien que ce qui a scandalisé l'opinion internationale, ce sont vos déclarations au sujet de la Shoah et des SS. Des déclarations qui vous ont valu l'opprobre général ...
J.H. - Sans vouloir vous froisser, votre question est tout à fait judicieuse, mais votre présentation des faits est malhonnête. Il se trouve que la presse se plaît à diaboliser Jörg Haider. C'est aussi simple que cela et les raisons en sont fort logiques. On me perçoit comme un Autrichien arrogant qui a le tort de ne pas épouser la thèse officielle de la culpabilité allemande et autrichienne par rapport aux événements survenus durant la dernière guerre mondiale. Parce que je refuse de voir dans chaque sympathisant du national-socialisme, à une époque où la définition de ce mot était très différente de ce qu'elle est aujourd'hui, un criminel de guerre, on me traite de nazi ! Parce que je m'oppose au multiculturalisme, dans un tout petit pays comme l'Autriche, je serais nécessairement un fasciste ! Parce que j'ai réussi, en moins de quinze ans, à hisser le FPÖ au rang de deuxième force politique autrichienne, en le faisant progresser de 5 % à 30 % des suffrages, là encore, la presse internationale voudrait me faire passer pour un individu dangereux. Mais ce qui me chagrine, voyez-vous, ce n'est pas tant l'attitude des pays européens que celle des journalistes qui ne cherchent qu'à faire du sensationnel : ils sont même allés jusqu'à raconter que le domaine dont j'ai hérité de ma famille avait été confisqué à une famille juive pendant la guerre. C'est complètement faux. Mais, bien sûr, la vérité fait …