Les Grands de ce monde s'expriment dans

CHANGEMENT D'ERE A BELGRADE

Renaud Girard - Monsieur le Président, en Occident on vous présente le plus souvent comme un nationaliste modéré. Vous reconnaissez-vous dans cette description ?

Vojislav Kostunica - L'expression me paraît plutôt traduire la manière dont certaines très grandes puissances occidentales se plaisent à qualifier les leaders des petits pays. Tous les chefs d'État du monde appartiennent à une nation bien définie ; et tous s'emploient à défendre les intérêts de leurs peuples respectifs. En ce sens, ce sont tous des nationalistes. Mais lorsqu'on donne à ce terme une connotation péjorative, on le réserve curieusement aux dirigeants des petites nations. Il suffit que je proclame mon attachement à l'indépendance de la Serbie pour qu'on m'accole aussitôt une étiquette déplaisante. Or mon nationalisme est un nationalisme positif, qui n'implique aucun rejet d'autrui.
R. G. - Avez-vous les moyens de mettre en œuvre votre programme de rénovation de la Serbie ? De quelle influence le clan Milosevic dispose-t-il encore au sein de l'appareil d'État ?
V. K. - Politiquement, le clan Milosevic n'a plus d'influence. Mais on trouve partout des vestiges de l'ancien régime, surtout dans le secteur économique, et notamment dans cette économie non transparente qui, depuis dix ans, a fait la fortune de tous les barons affairistes liés à la famille Milosevic. C'est un problème qu'ont connu bien d'autres États post-communistes où l'on a vu les apparatchiks perdre le pouvoir politique mais conserver des prébendes économiques. La transition vers un nouveau système, dont on espère qu'il sera idéal, ne s'effectuera pas en un jour. N'oubliez pas que le communisme yougoslave était un communisme très particulier, où le centralisme étatique le plus contraignant s'accommodait d'espaces de liberté laissés à l'initiative privée. Ce qui explique pourquoi il y avait chez nous davantage de monde lié, de près ou de loin, à l'élite dirigeante. Bref, en Yougoslavie, il est impossible de tracer une ligne de démarcation nette entre un ancien mode de fonctionnement titiste qui serait totalement communiste, et le fonctionnement du régime personnel de Milosevic. Il n'y a pas de solution de continuité entre les deux systèmes. La construction d'un État de droit prendra donc probablement plus de temps qu'ailleurs.
R. G. - Pourquoi n'avez-vous pas limogé le général Nebojsa Pavkovic, chef d'état-major de l'armée, qui était, parmi les militaires, l'un des plus proches de Milosevic ? Et pourquoi ne vous êtes-vous pas immédiatement séparé de Rade Markovic, le chef des services secrets ?
V. K. - En tant que président de la République fédérale de Yougoslavie, je ne commande que l'armée. La police est du ressort du gouvernement de Serbie. Cette situation absurde résulte d'une décision de Milosevic qui, à l'époque où il était président de la Serbie, a confisqué la police fédérale. Il faudra un jour ou l'autre remédier à cette anomalie et rétablir une seule et même police sur l'ensemble du territoire yougoslave. Mais, pour l'instant, c'est ainsi. Quant à l'armée, je me félicite qu'elle ait refusé d'intervenir contre les manifestants lors des journées cruciales du 5 et du 6 …