Publié au moment même où George W. Bush pénètre dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, ce Numéro d'Hiver de Politique Internationale se devait de porter une attention toute particulière à la nouvelle administration américaine. Sur quels dossiers, notamment internationaux, l'équipe républicaine rompra-t-elle avec les orientations antérieures ? Sera-t-elle tentée de rapatrier les GI's présents en Bosnie et au Kosovo, voire de ne plus participer qu'exceptionnellement aux opérations de maintien de la paix ? Aura-t-elle à cœur de faire aboutir, malgré les réticences des Européens, le fameux projet de défense nationale anti-missiles (NMD) ? Continuera-t-elle de fustiger tout ce qui contribue à crédibiliser une « Europe de la défense » — suivant en cela l'exemple de plusieurs proches de George W. Bush pendant la campagne présidentielle ?
Bref, la profonde unité de destin que partagent le Vieux Continent et les États-Unis ne risque-t-elle pas de se heurter à un certain nombre d'obstacles pratiques, de divergences doctrinales ou d'incompréhensions ?
Pour sonder cette interrogation — et bien d'autres — nous avons donné la parole, comme à l'accoutumée, aux analystes et aux acteurs. A ceux qui décryptent l'événement, à ceux qui le jugent et à ceux qui le modèlent. C'est pourquoi, à côté des excellents experts que sont Jacques Andréani et Justin Vaïsse, on trouvera dans les pages qui suivent les noms de Henry Kissinger et de Condoleezza Rice.
Il est rare que le Dr Kissinger accepte d'adresser des « conseils » à une nouvelle administration. Il a bien voulu, néanmoins, se livrer à cet exercice inédit pour le plus grand profit de l'équipe qui entre en fonctions à Washington… et des lecteurs de Politique Internationale.
Quant à Condoleezza Rice, qui occupera désormais à la Maison-Blanche le poste clé de National Security Adviser (celui-là même que Henry Kissinger occupa sous Nixon), nous nous réjouissons qu'elle ait choisi, elle aussi, notre Revue pour brosser à grands traits, et en avant-première, sa vision de l'avenir et de la place que doit y occuper, pendant les quatre prochaines années, l'Amérique de George W. Bush.
Le deuxième dossier brûlant, ce trimestre, est, bien évidemment, le Moyen-Orient. Quel sera le sort du processus de paix au lendemain de la consultation électorale du 6 février en Israël ? Quel que soit le nom du futur Premier ministre israélien, saura-t-il faire renaître la confiance entre frères ennemis ? D'ailleurs, l'affrontement israélo-palestinien peut-il être géré comme un conflit « classique » (avec ses divers volets : frontières, Jérusalem, réfugiés…) ? Ne relève-t-il pas, plutôt, d'un antagonisme de type « existentiel » qui remonterait aux débuts de l'aventure sioniste ?
Nos lecteurs apprécieront, je pense, que les réponses à ces questions soient fournies par des autorités incontestables, certes, mais aux convictions très contrastées : Shimon Pérès, Fayçal Husseini, Mohammed Barakei, Alain Dieckhoff, Frédéric Encel et Christian Chesnot.
Troisième thème de ce voyage trimestriel : l'état de l'Europe au lendemain du Conseil européen de Nice. Avec deux coups de projecteur :
@R2 le premier, sur les relations franco-allemandes. Le Sommet de Nice a-t-il réellement brisé ce qui fut, 50 ans durant, le moteur de la construction européenne, à savoir le « couple » franco-allemand ? Et si oui, à qui la faute ? Au-delà même de ce Sommet, que veut et où va l'Allemagne de Gerhard Schröder ? Quelle idée se fait-elle de son rôle en Europe ? Quel modèle de société est-elle en train de bâtir ? Ce modèle est-il exportable ?
Jean-Louis Bourlanges, ainsi que les ministres allemands des Finances, de l'Intérieur et de l'Environnement ont tenté, sur ces divers points, d'étancher notre curiosité ;
@R2 le deuxième, sur la « question d'Irlande ». Après 30 ans d'une guerre civile dévastatrice, n'a-t-on pas enfin le droit de considérer que le processus de paix, en Ulster, est en train de faire ses preuves ? Ne voit-on pas, également, que la résolution de la question nord-irlandaise renforce le rayonnement international de cette République d'Irlande déjà portée par une formidable croissance économique ?
Pierre Joannon et le Premier ministre irlandais lui-même, Bertie Ahern, nous font profiter, ici, de leur vaste expérience.
Mais l'Union européenne, ce n'est pas seulement des communiqués, des procédures, des Sommets… C'est aussi — on le sait — une certaine idée de la liberté, du progrès économique et de la justice que nous envient la plupart des peuples du Vieux Continent. Ces peuples sont-ils prêts à devenir membres à part entière du club européen ? Ont-ils une conception aussi exigeante que la nôtre en matière de fonctionnement démocratique ? Tel est, précisément, le « bulletin de santé » de l'aire post-communiste que notre Rédaction, ce trimestre, a choisi d'établir.
Avec les commentaires toujours éclairants de : Paul Garde (le plus éminent des balkanologues), Jean Lemierre (le nouveau patron de la BERD), Vojislav Kostunica (le successeur de Milosevic), Aleksander Kwasniewski (le Président, récemment réélu, de la Pologne), et Carla Del Ponte (le Procureur général du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie)…
A ce vaste périple imposé par l'actualité, nous avons souhaité ajouter deux étapes plus atypiques — l'une en Asie, l'autre en Amérique latine— marquées par deux personnages hors normes.
— L'Indonésie, où un président quasiment aveugle,
Abdurrahman Wahid, s'obstine, contre vents et marées, à parier sur le réformisme dans un contexte de violence séparatiste et confessionnelle, de turbulences sociales et de manœuvres politiciennes héritées du long règne corrompu des Suharto.
— Le Pérou, où l'économiste indien Alejandro Toledo, issu d'une famille misérable de la Cordillère des Andes, s'apprête à retrouver par les urnes la victoire que l'ex-président Fujimori (en fuite) lui a dérobée par la fraude, il y a quelques mois.
Deux interviews exceptionnelles, deux destins qui tranchent par rapport à la morosité de l'époque, deux trajectoires sculptées par la volonté.
A propos, connaissez-vous cette phrase de Churchill ? « Tout le monde savait que c'était impossible à faire. Et puis, un jour, est venu un homme qui ne le savait pas. Et il l'a fait. »
A toutes et à tous : bonne lecture.