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FRANCE-ALLEMAGNE: DIVORCE A L'EUROPEENNE

Le Conseil européen qui s'est réuni à Nice du 7 au 11 décembre 2000 a porté un rude coup, peut-être même un coup fatal, à l'une des figures chorégraphiques imposées de longue date à la diplomatie européenne : le pas de deux franco-allemand. Après cinquante ans de vie commune, le couple vedette de la construction européenne paraissait depuis quelque temps passablement arthritique. Une aussi longue promiscuité n'était pas sans avoir suscité de part et d'autre frustrations inavouées et rancunes tenaces. Ce sont ces frustrations et ces rancunes qui se sont exprimées avec une vigueur inattendue et quelque peu préoccupante à l'occasion du sommet de Nice.
Dix ans de malentendus franco-allemands
Après des siècles de déchirements, les bans annonçant l'union de la France et de l'Allemagne avaient été publiés le 9 mai 1950 avec la Déclaration de Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, appelant à la création d'une communauté Charbon-Acier. Au cours du demi-siècle qui suivit, à l'exception des quelques années de baisse de régime et de cafouillage agricole de la période Pompidou-Brandt, l'entente franco-allemande a dominé l'histoire de l'Europe de l'Ouest, jalonnée par les gestes successives des divinités éponymes : Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et Helmut Kohl.
L'élection de Jacques Chirac à la présidence de la République, en 1995, s'est d'emblée traduite par un changement sensible d'atmosphère. Le nouveau président n'est pas parvenu à nouer avec le chancelier Kohl, héros fatigué de l'Allemagne réunifiée, déjà livré à la contestation insidieuse des impatients, la même sorte de relation forte qu'avait su créer François Mitterrand douze ans plus tôt dans le climat d'urgence passionnelle suscité par l'installation des SS20 soviétiques à la frontière même de la République fédérale. Le courant n'a pas semblé passer davantage entre M. Chirac et le vainqueur des élections allemandes de l'automne 1998, Gerhard Schröder : beaucoup de traits communs et bien peu d'intérêt l'un pour l'autre ont tissé entre les deux hommes une relation décevante, faite de ressemblance et de rivalité, qui n'a rien produit à ce jour qu'une détérioration, sans précédent depuis 1950, de la relation franco-allemande.
Le décrochage de Nice
A Nice, la querelle entre les deux pays a pris une forme institutionnelle précise et hautement symbolique : celle du « décrochage », c'est-à-dire de la rupture de la parité entre la France et l'Allemagne dans la procédure de décision au Conseil des ministres de l'Union européenne. Assez curieusement, c'est Jacques Chirac et non le chancelier fédéral qui, dès 1996, avait appelé à une réforme en profondeur du régime de pondération entre les Etats. Le président français visait bien entendu, dans la perspective d'un élargissement qui allait multiplier les petits pays, à renforcer le poids spécifique des grands par rapport aux autres. Mais il s'engageait ainsi sur un chemin hasardeux en suggérant, par exemple, que la nouvelle pondération des voix fût fondée sur trois critères : la démographie, la richesse nationale et la contribution budgétaire nette, dont le caractère propre était d'être infiniment …