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LA REFERENCE IRLANDAISE

Bertie Ahern est Taoiseach - premier ministre d'Irlande - depuis le 26 juin 1997. Leader du parti de centre droit Fianna Fail (Les guerriers de la destinée), fondé en 1926 par le père de l'Irlande indépendante Eamon De Valera, il préside un gouvernement de coalition réunissant sa formation et le petit parti libéral des Progressive Democrats dont le leader, Mary Harney, occupe la fonction de vice-premier ministre et ministre des Entreprises, du Commerce et de l'Emploi.

Depuis 1985, la République d'Irlande est associée, par traité, à la gestion de la crise nord-irlandaise et à la recherche d'une solution au conflit ulstérien. Dublin et Londres ont exercé une véritable tutelle sur le processus de paix. Les deux gouvernements ont formulé les propositions sur la base desquelles a été négocié le fameux Accord du Vendredi Saint (10 avril 1998). Ce compromis historique a permis d'établir des institutions régionales aménageant le partage du pouvoir entre unionistes, nationalistes et républicains; il a également mis en place des organes de coopération entre les deux parties de l'Irlande et entre les deux îles de l'archipel, ainsi que tout un train de mesures intéressant les libertés publiques et les droits de l'homme.

En tant que premier ministre d'Irlande, Bertie Ahern, et son homologue britannique Tony Blair, sont très directement impliqués dans les discussions visant à résoudre les nombreux problèmes posés par l'application de l'Accord de paix, ce qui explique la place importante de l'Irlande du Nord dans cet entretien.

Pierre Joannon - Monsieur le Premier ministre, évoquons, pour commencer, la situation en Irlande du Nord. Au lendemain de sa signature, en 1998, nombreux étaient les Cassandre qui prédisaient l'échec de l'Accord du Vendredi Saint. Or, ce compromis, qui a marqué une avancée décisive du processus de paix , est toujours en vigueur et semble devoir résister à toutes les épreuves. Comment expliquez-vous ce succès au moment où, ailleurs dans le monde, d'autres processus de paix, pourtant plus anciens, sont mis cruellement en échec ?

Bertie Ahern - Vous avez raison de souligner que l'Accord du Vendredi Saint a constitué une étape capitale. Ce texte est l'aboutissement d'un long processus de négociations collectives qui, pour la première fois, a réuni les représentants de toutes les traditions coexistant en Irlande : unionisme, nationalisme, loyalisme et républicanisme. Il faut souligner, de surcroît, l'esprit dans lequel ces négociations ont été conduites. Le ton en a été donné, dès l'amorce des discussions, par la fameuse « déclaration de soutien » (1) dans laquelle les participants ont exprimé leur conviction qu'un nouveau départ était possible, que l'héritage de deuils et de souffrances pouvait être surmonté, et que la meilleure manière d'honorer les victimes du conflit était de paver la voie à la réconciliation, la tolérance et la confiance réciproques. Outre l'affirmation de ces grands principes qui nous ont guidés à chaque étape de la négociation, le caractère exhaustif de l'Accord du Vendredi Saint est certainement un élément clé de son succès. En effet, cet Accord porte aussi bien sur les questions constitutionnelles fondamentales que sur les droits de l'homme, la réconciliation, l'attention portée aux victimes de la violence, les problèmes économiques, sociaux et culturels, la neutralisation des armes aux mains des organisations paramilitaires, la normalisation de la politique de sécurité, l'avenir de la police et de la justice criminelle, ou encore la libération des prisonniers. Bref, aucun aspect des relations entre les différentes parties prenantes n'a été laissé dans l'ombre.
P. J. - Quelle est l'idée fondatrice qui a présidé à la conclusion de cet Accord ?
B. A. - A la base, il y a la reconnaissance du fait que nous sommes condamnés à vivre ensemble sur cette île et que, par conséquent, nous avons besoin de paix et de stabilité — ce qui implique forcément une réconciliation. Cette démarche suppose évidemment, pour chacun d'entre nous, une remise en cause de nos schémas de pensée, une plus grande tolérance, de la générosité, une compréhension nourrie de sympathie pour les besoins des autres, et l'établissement de liens de confiance entre toutes les composantes de la société.
P. J. - Le moins que l'on puisse dire, c'est que la mise en œuvre de l'Accord du Vendredi Saint a connu des hauts et des bas depuis avril 1998. N'avez-vous jamais été guetté par le découragement dans les moments de crise ? Quels sentiments vous inspire cette progression en dents de scie ?
B. A. - Avant de vous répondre, je voudrais faire une mise au point qui …