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ECONOMIE ALLEMANDE: LES VERTUS DE LA RIGUEUR

Le 12 avril 1999, Hans Eichel succéda officiellement à Oskar Lafontaine à la tête du ministère allemand des Finances. Nul n'aurait imaginé que ce politicien régional, qui venait de perdre son poste de ministre-président du Land de Hesse, deviendrait un an et demi plus tard le numéro deux du gouvernement Schröder. Agé de 57 ans, le «brave Hans», comme l'appelaient certains de ses amis, était l'antithèse vivante du très keynésien Lafontaine. Son prédécesseur, on s'en souvient, préconisait une relance par la demande, ainsi qu'un contrôle international des flux de capitaux et la mise sous tutelle politique de la Bundesbank et de la Banque centrale européenne.

Bien que ses amis lui reprochent ses «manières de chef de bureau de la sécu» et sa totale absence de charme, M. Eichel est en réalité un homme souriant et prévenant qui explique les choses avec bienveillance, sans perdre de vue l'essentiel, comme il sied à un ancien professeur de lycée. C'est avec beaucoup d'aménité qu'il a fermé le robinet public, exauçant ainsi les voeux de l'industrie. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas un idéologue.

Egaré dans la politique régionale, puis nationale et européenne, après avoir été élu maire de Kassel, Eichel était l'un des rares spécialistes de la fiscalité dans les rangs du SPD. Coordinateur de la politique financière du SPD, il avait mené jadis des négociations fiscales avec le gouvernement Kohl (dont la grande réforme, en ce domaine, tardivement engagée à la fin des années 90, avait échoué par suite du blocus que lui opposa, au Bundesrat, le président du SPD de l'époque, Oskar Lafontaine).

Gerhard Schröder a voulu mener à bien ce que Kohl n'avait pu réaliser. A mi-parcours de la législature (1998-2002), la réforme fiscale a été adoptée le 14 juillet 2000. Dans son rapport du 2 novembre 2000, le Fonds monétaire international lui délivre un satisfecit. Le FMI relève, notamment, que la baisse des prélèvements stimulera, à moyen terme, le développement des entreprises allemandes.

Soucieux de garantir à la fois l'emploi, la croissance et la stabilité sociale, le gouvernement Schröder est parvenu, en 1999, à endiguer l'augmentation de la dette publique et la progression des charges fiscales. Le grand horloger qui a inversé le mouvement des aiguilles est, incontestablement, Hans Eichel. Le projet gouvernemental est axé sur le long terme, avec pour horizon l'équilibre budgétaire à partir de 2006. La plus grande réforme fiscale jamais entreprise en Allemagne et, de beaucoup, la plus importante d'Europe, représente pour les entreprises un allègement de 93 milliards de marks d'ici à 2005. L'effort de consolidation budgétaire prévoit, parallèlement, des économies de quelque 30 milliards de marks par an. Enfin, d'autres mesures sont à l'ordre du jour, telle l'introduction d'une fiscalité écologique sous le mot d'ordre «Deutschland erneuern» (moderniser l'Allemagne).

En outre, le gouvernement a prévu de refondre les systèmes de protection sociale avant les prochaines législatives. Car l'inversion rapide de la pyramide des âges au cours des trois prochaines décennies suscitera inéluctablement des problèmes de financement. De même qu'Eichel a su innover en donnant un tour de vis budgétaire (ce qui n'était pas évident pour un socialiste!), de même le ministre du Travail, l'ancien syndicaliste Walter Riester, a brisé un tabou: la retraite par répartition a été complétée par une part de capitalisation, l'épargne privée étant facilitée par des allègements fiscaux.

L'accord de l'opposition, requis pour l'adoption de cette mesure qui engage l'avenir, paraît toutefois très difficile à obtenir. C'est le cas, aussi, pour la réforme de la santé, l'autre grand chantier demeuré en friche. Quant au soutien du patronat, il apparaît précaire. Le chancelier a certes obtenu, le 15 juin 2000, l'accord des producteurs d'électricité sur un programme d'abandon de l'énergie nucléaire d'ici à 2020. Et il a lancé un partenariat public-privé avec les entreprises du secteur des technologies de l'information pour favoriser l'accès à Internet et à l'informatique. Dès 2001, toutes les écoles seront connectées. Les entreprises se sont engagées à créer 60000 emplois supplémentaires dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Reste que la grande lacune du gouvernement Schröder, c'est de n'avoir pu signer avec le patronat et les syndicats le fameux «pacte du travail», calqué sur le modèle hollandais, qui avait été son principal cheval de bataille lors de la campagne législative de 1998.

Quant au chômage, il diminue régulièrement, mais pas à la vitesse escomptée. Les entrepreneurs s'insurgent contre la titularisation obligatoire des travailleurs à temps partiel et contre la réforme de la cogestion, qui donnera aux salariés un droit de codécision sur les investissements. Bref, quelques ombres commencent à obscurcir l'horizon électoral de la coalition SPD/Verts qui, il y a peu, paraissait assurée de remporter les élections de 2002. Depuis la fin du mois de novembre 2000, l'opposition CDU/CSU fait presque jeu égal, dans les sondages, avec le SPD. Et cela, malgré l'affaire des «caisses noires» qui avait littéralement jeté à terre le parti de l'ancien chancelier Kohl ...

Jean-Paul Picaper - Monsieur le Ministre, vos détracteurs vous reprochent de faire trop d'économies. Est-ce là la principale mission d'un ministre des Finances ?

Hans Eichel - Les économies budgétaires ne sont pas, je vous rassure, un but en soi. Notre double objectif est le suivant : ne pas laisser une montagne de dettes à la prochaine génération ; réduire l'ensemble des impôts et des cotisations. C'est, croyez-moi, le meilleur moyen de favoriser la croissance à court terme. Mais, en même temps, nous investissons dans les domaines d'avenir : l'éducation et la recherche. C'est pourquoi, alors que le budget global diminue de 0,4 %, celui de l'éducation nationale progresse de 10 % cette année. Au total, nous mettons en place un véritable programme de salut public.
J.-P. P. - Vous visez un objectif d'équilibre budgétaire à partir de 2006. L'atteindrez-vous ?
H. E. - D'autres pays dégagent d'ores et déjà des excédents budgétaires. L'Allemagne agit en ce sens. Par exemple, les recettes de la vente des licences de téléphonie mobile UMTS nous ont permis de réduire la dette publique de cent milliards de marks. Résultat : nous économisons, chaque année, cinq milliards de marks d'intérêts. L'énorme déséquilibre démographique de nos pays nous contraint, qu'on le veuille ou non, à réduire la dette. D'ici trente ans, nous aurons deux fois plus de retraités qu'aujourd'hui. Le financement des retraites sera coûteux, et nous ne pourrons plus prélever autant d'impôts pour assurer le service de la dette. Nous avons, en outre, engagé une forte baisse des impôts qui, à court terme, stimule la croissance. Certains, au FDP et à la CDU, louent cet aspect de notre politique tout en en rejetant les autres volets. Ce faisant, ils perdent de vue le long terme. S'en tenir à la seule réduction des prélèvements constituerait une politique égoïste qui ne profiterait qu'aux générations actuelles.
J.-P. P. - Combien d'années faudra-t-il à l'Allemagne pour « éponger » l'ensemble de sa dette publique, qui tourne autour de 2000 milliards de marks ?
H. E. - Ce qui est sûr, c'est que je ne serai plus là pour le voir ! La dernière fois que notre budget a été équilibré, c'était en 1970, sous Willy Brandt. Depuis lors, les déficits ont nourri l'endettement, et nous avons contracté de nouveaux crédits qu'il convient maintenant de rembourser. La grande question, c'est : « à quel rythme ? » Naturellement, en théorie, nous pourrions réduire la dette plus rapidement. Mais une politique financière excessivement rigoureuse aurait des conséquences négatives sur les investissements en matière d'éducation, de recherche ou d'infrastructures au sens large.
J.-P. P. - Permettez-moi d'insister : à quand le remboursement total de la dette ?
H. E. - J'ai effectué quelques calculs. Si certaines conditions sont réunies, le montant de la dette, qui s'élève actuellement à 60 % du PIB baissera à 30 % d'ici à 2012. La part de l'État dans l'économie, quant à elle, passera de 48 % à environ 40 %. C'est une projection tout à fait …