ETATS-UNIS: AU-DELA DE L'HEGEMONIE

Chacun peut constater les succès de l'Amérique. Cette situation a un nom : l'hégémonie. Elle procure au peuple américain des satisfactions . Dominante, et plus ouverte que jadis sur le monde extérieur, l'économie américaine est sensible aux secousses qui peuvent s'y produire (crises asiatique, latino-américaine...). Les armes des Etats-Unis sont irrésistibles, mais elles ne sont pas toujours adaptées aux buts qu'ils poursuivent : on ne vient pas à bout d'un dictateur lointain en lui expédiant, à intervalles irréguliers, des salves de missiles de croisière. La surpuissance militaire n'immunise pas contre les menaces terroristes. Elle multiplie, au contraire, les cibles potentielles. La position de leadership est appréciée dans une population que gonfle facilement la fierté nationale. Mais il n'en résulte pas que chaque Américain soit prêt à consentir à tout ce qu'implique cette position en termes de choix politiques et de sacrifices financiers, voire humains.
Enfin, la prédominance des Etats-Unis au début du XXIe siècle n'a pas fait disparaître les problèmes qui divisent la société américaine. Et l'on peut soutenir que ces divisions elles-mêmes sont, pour une part, la conséquence des tensions produites par une progression économique rapide dans un climat de libéralisme triomphant.
Ces difficultés sont-elles graves ? Peuvent-elles, au cours de ce siècle, remettre en cause la puissance et l'influence des Etats-Unis ? Comment le leadership s'exerce-t-il dans un monde unifié - dit-on - par la globalisation et, pourtant, tellement divers ? Les Américains, qu'ont si souvent inspirés, tout au long de leur histoire, de grandes et exaltantes perspectives, ont-ils une ambition pour eux-mêmes, un projet pour le monde ? Existe-t-il un destin au-delà de l'hégémonie ?
On ne peut sérieusement prétendre scruter le futur sans interroger le passé. L'Amérique, on le sait, est un pays changeant. Dans quelles directions a-t-elle évolué depuis sa création et, plus particulièrement, au cours du siècle qui vient de s'achever ? Et est-il possible que nous assistions à des inflexions ou à des réorientations dans l'avenir ?
L'« exception » américaine
Observons l'évolution des Etats-Unis depuis leur soudaine naissance, lors de la révolte des colonies. Ils se sont constitués contre l'Angleterre, mais à partir d'une population exclusivement européenne - Indiens et Noirs étaient ignorés - et en référence constante à l'Europe. Ce qu'ils se proposaient de réaliser, c'était une société exempte des compromissions et de la corruption des souverains du vieux monde. Leur spécificité résidait dans la morale qu'ils plaçaient au centre du pacte social et dans une Constitution qui établissait une stricte séparation des pouvoirs, un Etat de droit, le primat de l'individu, une décentralisation poussée. Tandis que leur but se précisait de façon pragmatique à mesure qu'ils avançaient, ils ont donné, peu à peu, son aspect spécifique à la société qu'ils forgeaient :
· primauté blanche, protestante, anglo-saxonne ;
· croyance à la supériorité de la «grande race» nordique mais en même temps large ouverture à une immigration de plus en plus diversifiée ;
· autonomie maintenue par rapport aux idéologies européennes (doctrine des partis politiques, attitudes sociales et syndicales, quasi-absence …