Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'APRES-INTIFADA

Les raccourcis sont souvent dévastateurs. Combien de fois a-t-on lu ou entendu, ici ou là, depuis la fin septembre 2000 que le Proche-Orient endurait une nouvelle guerre israélo-palestinienne? Cette lecture monolithique des événements est pourtant erronée. Après neuf années d'un processus de paix laborieux, les données du problème ne sont plus les mêmes: seuls les extrémistes des deux bords (les colons israéliens et les militants du Hamas palestinien) défendent encore le statu quo.

Ces La société palestinienne est traversée par divers courants qui obéissent, chacun, à une logique spécifique: l'Autorité palestinienne dirigée par Yasser Arafat, qui n'entend pas lâcher le pouvoir qu'elle détient; les Tanzim, une organisation paramilitaire officiellement rattachée au Fatah - le mouvement d'Arafat - mais dont le chef, Marwan Barghouti, voudrait s'émanciper de la figure paternelle; et les chebab, ces jeunes lanceurs de pierres, âgés de 15 à 25 ans, issus pour la plupart des camps de réfugiés. Le reste, le vaste corps de la société civile, regroupe l'élite intellectuelle (étudiants, écrivains, etc.) et les milieux d'affaires.

Ces différents micropouvoirs poursuivent tous un objectif commun: la création d'un Etat palestinien ayant Jérusalem pour capitale. Aucun d'entre eux n'envisage une solution militaire au conflit avec Israël. Mais leurs stratégies divergent. Ainsi, les chebab dénient toute légitimité à Arafat. élevés à l'ombre du nationalisme palestinien, ils ont découvert le vrai visage de l'Autorité palestinienne, rongée par la corruption, paralysée par les querelles de personnes et réduite à l'impuissance. Plus étonnant: Israël leur inspire un sentiment ambivalent où la répulsion le dispute à la fascination envers un Etat fort doté d'une puissante armée.

A l'instar des chebab, la société civile palestinienne ne remet pas en cause l'existence de l'Etat hébreu. Mais après avoir exprimé le voeu d'une alliance politico-économique avec Israël au lendemain des accords d'Oslo, elle a durci sa position. En majorité, les Palestiniens réclament désormais le retour aux frontières d'avant la guerre des Six Jours et conçoivent leur avenir dans la constitution d'un espace arabe régional. Pour autant, la rupture avec Israël n'est pas à l'ordre du jour. Les hommes d'affaires palestiniens - un grand nombre travaillent avec leurs homologues israéliens - redoutent, en effet, les conséquences d'un tel divorce sur les plans commercial et économique.

Malgré ces nuances, tous les regards restent tournés vers Arafat. Pour la première fois depuis des années, le vieux chef a retrouvé les faveurs de son peuple. D'après une enquête du Jerusalem Media and Communication Center, il est passé de 35% d'opinions favorables avant le sommet de Camp David, en juillet dernier, à 55% au lendemain de la rencontre. Une seconde étude, menée du 6 au 8 novembre 2000 dans la bande de Gaza par l'Université de Bir Zeit, indique que Yasser Arafat reste la seule personnalité politique de premier plan. La majorité des Palestiniens évalue positivement son attitude durant l'Intifada (46%) contre 33% qui la jugent «moyenne» et 18% négative. Mais s'il a réussi à rebondir localement en s'opposant à Ehoud Barak (et à Bill Clinton), il n'est plus le maître du jeu palestinien.

En d'autres temps, il aurait signé un nouvel accord cadre avec Israël sans se soucier de son opinion publique. L'échec des différents traités paraphés depuis 1993 et le fait que la majorité de la population locale place ses espoirs dans l'Intifada, voire dans un conflit avec Israël, pour sortir de cinquante-deux années de lutte, ont contraint Arafat à adopter un ton intransigeant vis-à-vis d'Israël. Au Proche-Orient, nombreux sont ceux qui s'inquiètent de l'après-Arafat, la santé du chef de l'Autorité palestinienne faisant l'objet d'incessantes supputations. La tendance modérée incarnée par Fayçal Husseini aura-t-elle voix au chapitre ou devra-t-elle s'incliner devant le clan Barghouti? Pour l'heure, elle continue de dominer la scène politique palestinienne même si certains signes de radicalisation commencent à se faire jour. Confirmation que la paix est une entreprise redoutable ...

Hacène Belmessous - Malgré les efforts de la diplomatie américaine, la tension entre Israéliens et Palestiniens n'est pas encore retombée. Le plan Clinton était-il viable ?

Fayçal Husseini - Les propositions de Bill Clinton étaient floues et demandaient un certain nombre d'éclaircissements. Prenez, par exemple, la question de la superficie de notre futur État. Le plan Clinton nous attribuait 96 % des territoires. Mais qu'en est-il des 4 % restants et que représentent-ils ? Faut-il admettre que les colonies israéliennes sont pérennes alors qu'elles n'ont aucune légalité ? Je pense aussi au problème des réfugiés dont le droit au retour est, pour nous, un droit vital. Ces questions sont trop importantes aux yeux des dirigeants palestiniens pour qu'on les inclue dans un accord bâclé, imparfait et inconséquent. D'autant que, quand bien même nous accepterions de signer un nouvel accord cadre avec Israël, qui nous garantira son application ? N'oubliez pas que des élections auront lieu le 6 février prochain en Israël et que nous ne connaissons pas encore les intentions de George W. Bush.
H. B. - En attendant ces échéances, je vous propose de revenir sur les événements de ces derniers mois. Depuis le 28 septembre dernier, Israéliens et Palestiniens règlent à nouveau leurs différends par pierres et balles interposées. Comment en est-on arrivé là alors que, quelques semaines plus tôt à Camp David, les deux protagonistes discutaient encore des moyens de faire évoluer le processus de paix (1) ?
F. H. - Il faut regarder la réalité en face : à l'heure où cette nouvelle révolte a éclaté, il n'y avait aucune solution en vue pour sortir de ce conflit. Depuis la signature des accords d'Oslo, les conditions de vie des Palestiniens se sont terriblement dégradées. Les communications entre la Cisjordanie et Gaza sont toujours coupées. Les Israéliens ont fortement réduit notre liberté de mouvement et n'ont jamais cessé de s'approprier des terres palestiniennes pour y implanter leurs colonies. Ils ont confisqué les cartes d'identité des résidents palestiniens et interdit les rassemblements familiaux. Les affrontements actuels sont donc l'expression d'un ras-le-bol vis-à-vis d'un État qui nous a poussés à bout, allant même, ces derniers mois, jusqu'à chercher à défigurer la nature de notre lutte — une lutte avant tout politique — pour en faire une bataille religieuse. La visite d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées (2) est l'ultime goutte qui a fait déborder le vase. Comment ne pas reprendre les armes après sept années de frustration et de désespoir ?
H. B. - La reprise brutale des violences ne vous a donc pas pris de court...
F. H. - J'ai plutôt été étonné que cette explosion ait lieu si tard ! J'avais fait savoir, dès 1995, peu de temps avant la signature d'un nouvel accord à Washington (3), qu'une nouvelle Intifada se préparait. Déjà à cette époque, et bien que les accords d'Oslo n'eussent que deux années d'existence, il était clair que le développement illégal des colonies juives et l'absence de perspectives ne pouvaient que faire monter la …