Françoise Pons - Qu'est-ce qui vous a décidé à accepter le poste de président de la BERD ?
Jean Lemierre - Deux raisons essentielles. La première, c'est de contribuer à relever l'extraordinaire défi auquel sont confrontés les « pays de l'Est », c'est-à-dire les 26 pays d'opération de la BERD (1). La transition vers l'économie de marché est un enjeu considérable, pour ces États comme pour le reste du monde — et, en particulier, pour l'Union européenne. La deuxième raison tient à l'aspect extrêmement opérationnel de la Banque, dont l'action consiste à financer des projets concrets. Pour résumer, la BERD est une superbe mission de service public, dans le sens français du terme, menée selon des méthodes d'intervention de type privé. Ce n'est ni une administration ni une banque au sens strict, mais une institution hybride. Et c'est ce qui en fait une institution unique. Après 24 ans de carrière au ministère des Finances, en tant que directeur de la législation fiscale, directeur général des impôts et directeur du Trésor, je n'avais plus grand-chose à y prouver. La présidence de la BERD s'inscrit dans la continuité de mon parcours personnel : c'est une mission d'intérêt général exercée, cette fois, à l'échelle internationale.
F. P. - Mais cette même dualité de la BERD ne constitue-t-elle pas une contradiction majeure dans le principe de son fonctionnement ?
J. L. - Non, absolument pas. La BERD a été créée pour gérer cette « contradiction ». En 1991, ses 60 actionnaires (2) ont mis sur pied ce qu'on pourrait appeler une banque d'affaires publique. L'objectif était d'avoir un impact fort sur la transition économique, dans un créneau particulier : celui du financement de la création ou de la reprise d'entreprises par des prêts ou des prises de participation, là où les autres institutions — Banque mondiale, FMI, Union européenne, Banque européenne d'investissement — n'intervenaient pas. En tant que banque, la BERD doit faire du profit ou, du moins, ne pas perdre d'argent. Son capital lui a, en effet, été confié par les contribuables des pays fondateurs. C'est ainsi que nous avons rétabli nos comptes très rapidement après les pertes que nous avons subies en 1998, lors de la crise bancaire en Russie (3). Il en va également de la crédibilité de la BERD. Mais, en même temps, nous acceptons de ne pas maximiser notre profit, afin de remplir notre mission de soutien à la transition. Nous prenons en effet plus de risques que d'autres en nous aventurant là où les investisseurs privés ne se hasardent pas. Notre tâche est de drainer les investissements « normaux », spontanés, en aidant les investisseurs à réduire leurs propres risques. Car nous sommes respectés dans chaque pays. Au moment de la crise de 1998, l'immunité de la BERD a été respectée. Le défaut de paiement russe ne l'a pas touchée, pas plus que ses partenaires. Comprenez bien que la BERD n'a pas de légitimité pour agir là où d'autres pourraient intervenir aisément. En fait, si nous n'étions pas …
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