Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA VIGIE DU PRESIDENT

La presse dit de Condoleezza Rice qu'elle est le « Kissinger de George Bush Jr». Ce qui est incontestable, en tout cas, c'est qu'elle exerce désormais à la Maison-Blanche, auprès du nouveau président, les mêmes fonctions que celles que Henry Kissinger exerçait, jadis, auprès de Richard Nixon ...

Nous nous réjouissons que Mme Rice ait choisi Politique Internationale pour esquisser les contours de l'action diplomatique qui sera conduite par Washington pendant les quatre années à venir et pour s'adresser, en avant-première, aux grands décideurs internationaux.

Barbara Victor - Comment définiriez-vous votre rôle au sein de l'équipe Bush Jr ?

Condoleezza Rice - Je dirais que c'est un rôle à multiples facettes. Cette polyvalence m'a d'ailleurs procuré de grandes satisfactions au cours des derniers mois. Mais comme vous le savez sans doute, je suis, à l'origine, une spécialiste de l'Union soviétique et de la Russie. J'ai donc tenu George Bush Jr informé de l'évolution de ce pays et je lui ai donné mon sentiment sur ce que l'on pouvait attendre, en bien ou en mal, de la décennie à venir.
B. V. - Quel est votre diagnostic ?
C. R. - Ce n'est un secret pour personne : je n'approuvais pas la politique russe de l'Administration Clinton et, notamment, le maintien de l'aide économique à Moscou durant cette période, alors même que tout le monde savait le système rongé par la corruption et la criminalité. Je ne suis pas opposée à l'idée de soutenir la transition ; mais il faut que, de leur côté, les Russes montrent clairement leur volonté d'avancer sur le chemin des réformes — si périlleux soit-il. Le problème, c'est que l'Administration Clinton entretenait des relations tellement privilégiées avec Boris Eltsine qu'elle en avait oublié de suivre ce qui se passait au niveau du gouvernement et dans le pays lui-même. Résultat : la vision de Washington était complètement faussée.
B. V. - Diriez-vous, comme d'autres, que la Russie est « perdue pour l'Occident » ?
C. R. - Pour moi, il s'agit d'un faux débat et je n'ai pas l'intention de l'alimenter. La Russie n'est perdue ni pour elle-même ni pour personne !
B. V. - Quelle tournure prendra, à votre avis, la politique extérieure du Kremlin dans les prochaines années ?
C. R. - Mon pronostic est que la Russie va se rapprocher de plus en plus des nations arabes, y compris de l'Irak, et qu'au bout du compte cette évolution la conduira à refuser de contribuer à certains efforts en faveur de la paix.
B. V. - A vous écouter — vous, Dick Cheney ou le général Powell —, on a l'impression que l'équipe Bush a décidé de continuer à présenter la Russie comme l'« empire du mal » — et cela, bien que cette ex-superpuissance se trouve au bord de la faillite et ne soit plus en état de menacer l'Ouest... Est-ce que je me trompe ?
C. R. - Je crois sincèrement que la Russie constitue une menace pour l'Occident en général et pour nos alliés européens en particulier. Ni eux ni nous ne sommes assez vigilants face aux risques que représentent l'arsenal nucléaire et les moyens balistiques du Kremlin. Or nous avons toutes les raisons de redouter d'éventuels transferts de technologie nucléaire en provenance des Russes...
B. V. - Une adhésion de la Russie à l'Otan vous paraît-elle, malgré tout, envisageable à terme ?
C. R. - Depuis 1996, un dialogue s'est instauré entre la Russie et l'Otan afin de compenser, en quelque sorte, l'expansion de l'Alliance en …