Sophie Bessis - On parle souvent de l'émergence d'une idéologie des droits de l'homme. En quoi consiste cette idéologie, à supposer qu'elle existe ? Et quel contenu politique les Nations unies lui accordent-elles ?
Mary Robinson Il n'était pas évident, au départ, de savoir ce que la communauté internationale mettait derrière cette expression. Dès ma nomination au poste de Haut-Commissaire, en 1997, j'ai donc commencé par définir sur des bases claires ce que j'entendais, moi, par « droits de l'homme », et à force d'insister sur cette définition, elle a fini par s'imposer. Il est désormais admis que la notion de droits de l'homme doit être envisagée dans une acception large. Ils comprennent, d'une part, les droits civils et politiques et, d'autre part, les droits économiques, sociaux et culturels, qui sont à la fois complémentaires et d'égale importance. Il faut se battre simultanément sur ces deux fronts. Par ailleurs, j'ai l'intention d'exercer le mandat qui m'a été confié dans son intégralité, c'est-à-dire loin de tout « double standard ». La visite que j'ai effectuée au Proche-Orient du 8 au 16 novembre 2000, en pleine crise, était destinée notamment à montrer qu'il ne saurait y avoir deux poids et deux mesures en matière de droits de l'homme.
S. B. - L'idée d'une troisième génération de droits qui comprendrait le droit à un environnement vivable, à un air non pollué, à une alimentation saine, fait peu à peu son chemin. Les Nations unies ont-elles intégré cette nouvelle dimension des droits de l'homme, ou est-il encore trop tôt ?
M. R. - Ces droits sont inclus dans notre définition, surtout depuis la déclaration de 1986 sur le droit au développement qui fait la synthèse entre droits individuels et droits collectifs. Le droit des peuples à se développer comprend, naturellement, ce qu'on appelle la troisième génération des droits et, en particulier, le droit à l'environnement. Mais, pour donner plus d'efficacité à nos actions, je préfère, pour l'instant, me concentrer sur les droits plus « classiques ».
S. B. - Revenons à la question cruciale du « double standard » que l'on reproche à l'Occident de pratiquer depuis l'époque de la guerre froide, et qui n'a pas cessé avec la fin de cette dernière. Ceux qui condamnent cette pratique sont montrés du doigt par les tenants de la Realpolitik, convaincus que la géopolitique n'a pas à tenir compte des droits de l'homme. Où vous situez-vous dans ce débat ?
M. R. - La politique du « deux poids deux mesures » mène à une impasse dont il est nécessaire de sortir. Ma mission consiste à diffuser le message des droits de l'homme dans son ensemble. Il ne suffit pas de demander aux États de les respecter. Encore faut-il les aider à se doter des moyens et des institutions nécessaires à leur protection. Tel a été le but de mes récents voyages en Chine. En signant, en 1998, le pacte international sur les droits civils et politiques, Pékin est devenu signataire des deux grands pactes internationaux …
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