Les Grands de ce monde s'expriment dans

FINANCE INTERNATIONALE: L'ENVERS DU DECOR

Christian Chavagneux - Quand on parle de paradis fiscaux, on pense généralement à de petites îles ensoleillées et accueillantes qui permettent aux riches d'échapper à l'impôt. Cette description sommaire correspond-elle à la réalité ?
Jean de Maillard - L'expression « paradis bancaire et fiscal » recouvre des réalités très différentes qui se chevauchent souvent mais ne se recoupent pas. Stricto sensu, un tel « paradis » est un pays ou un territoire qui offre des services, notamment juridiques et financiers, à des investisseurs étrangers afin de permettre à ces derniers d'échapper à certaines contraintes légales et fiscales de leur pays d'origine. Officiellement, on les appelle « centres financiers off shore ». Il faut cependant observer que, depuis le développement d'Internet, le web peut lui-même devenir un paradis bancaire et fiscal — virtuel, certes, mais très efficace. On peut même imaginer qu'un navire installé en haute mer, dans la zone internationale, connecté par satellite avec le monde entier sur le web, offre les mêmes services.
C. C. - N'est-ce pas déjà le cas ?
J. de M. - Vous pensez sans doute à cette ancienne plate-forme désaffectée, perdue au milieu de la mer du Nord, que les Alliés avaient construite pour le ravitaillement des navires pendant la Seconde Guerre mondiale. Un ingénieux personnage, Roy Bates, se l'est appropriée et l'a transformée en « Principauté de Sealand ». Il s'est même trouvé des tribunaux britanniques pour valider cette création. Aujourd'hui, la Principauté de Sealand commercialise l'hébergement de serveurs informatiques. Au premier abord, cette affaire fait évidemment sourire et on pourrait la croire seulement folklorique. On aurait grand tort. Car, de nos jours, la puissance n'est plus liée à l'étendue du territoire mais à la maîtrise et à la capacité d'extension des réseaux virtuels, depuis n'importe quel point de la planète, fût-il minuscule. L'île de Nauru, par exemple, est la plus petite république du monde. Elle ne mesure que 21 km2 et ne compte que 10 000 habitants. C'est pourtant un redoutable paradis bancaire et fiscal. Pas moins de 400 banques et sociétés off shore y sont immatriculées. Plus de 80 milliards de dollars y auraient transité en 1999. Monaco et le Liechtenstein enregistrent des mouvements de fonds de la même ampleur : ces micro-États, et bien d'autres, sont décrits comme d'importants prédateurs de la finance internationale.
C. C. - A l'origine, vous l'avez rappelé, les paradis fiscaux servaient à soustraire certains capitaux à la vigilance des autorités légales. Mais, depuis, le champ de leurs activités s'est élargi...
J. de M. - Aujourd'hui, les paradis bancaires et fiscaux remplissent des fonctions bien plus nombreuses, qui se sont développées en même temps que la globalisation de l'économie et qui ont évidemment été facilitées, voire encouragées, par l'ouverture des frontières. Le problème, c'est qu'ils abritent une véritable industrie de la fraude et de l'évasion de capitaux à grande échelle. Rappelez-vous l'affaire du « Russiagate » : comment croyez-vous que la Banque centrale de Russie aurait pu détourner des milliards de dollars provenant du FMI si …