Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE NOUVEAU MEXIQUE

Le 1er décembre 2000, pour la première fois depuis soixante et onze ans, un président non issu du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) a pris ses fonctions au Mexique. Aisément élu le 2 juillet 2000, à la surprise générale, Vicente Fox Quesada était soutenu par une formation de droite, le Parti d'action nationale (PAN) - qui regroupe un ensemble hétérogène de catholiques conservateurs et de néolibéraux prônant le « moins d'Etat » - , mais aussi par nombre de personnalités venues de tous les horizons politiques et désireuses d'en finir avec le PRI. L'ampleur de la victoire de Fox ne traduit pas, pour autant, une adhésion massive des Mexicains à l'idéologie paniste. Fox a gagné car il a su réunir des électorats très divers et rassurer les classes moyennes par ses engagements et ses prises de position centristes, en particulier sur le terrain de l'école, de la religion, des moeurs, ou encore sur celui des symboles de l'indépendance mexicaine. Il a notamment promis de ne pas remettre en cause le statut public de la compagnie pétrolière (Pemex) et de la Compagnie nationale d'électricité (néanmoins, à la fin mars, il déposait un projet de privatisation partielle de l'électricité).

Vainqueur avec 42,52 % des voix face aux 36,10 % du candidat du PRI, Francisco Labastida Ochoa, et aux 16,64 % du principal candidat de gauche, Cuauhtémoc Cardenas, Vicente Fox dispose d'une légitimité incontestable. En revanche, il ne peut pas compter sur une majorité au Parlement. Avec 210 députés, le PRI demeure la première formation politique à la Chambre des députés (le PAN en a 207, le PRD 53 et le Parti Vert, allié au PAN, 15). Au Sénat, le PRI dispose de 60 sièges, contre 46 au PAN, 15 au PRD et 5 aux Verts. Fox se retrouve donc dans une configuration classique aux Etats-Unis, où il arrive souvent que le président doive négocier en permanence avec un Congrès hostile. Mais c'est une situation totalement inédite au Mexique, où le Parlement était généralement entièrement soumis à la volonté présidentielle.

Les premières difficultés n'ont pas tardé à se faire jour. Si le budget 2001 a été ratifié à l'unanimité, en revanche, le projet de loi que Fox a déposé dès sa prise de fonctions pour ratifier les accords de San Andrés, en vue de mettre fin au conflit du Chiapas, se heurte à l'opposition d'une partie des députés du PAN et du PRI. Ces accords, signés le 16 février 1996 entre les représentants du gouvernement et ceux des rebelles, prévoyaient l'octroi d'une large autonomie juridique aux communautés indigènes du Chiapas. Face aux objections de nombreux juristes qui insistaient sur la nécessité de réformer la Constitution avant de pouvoir les mettre en application, et devant la levée de boucliers de la plupart des députés du PRI et du PAN, le président sortant, Ernesto Zedillo, n'avait pas cherché à les faire ratifier. Les contacts avaient depuis lors été rompus entre le gouvernement et les zapatistes. Les nouvelles chambres élues en juillet 2000 ne semblaient pas dans de meilleures dispositions. Avec son art consommé de la communication, le sous-commandant Marcos et 23 commandants du mouvement zapatiste (souvent pétris d'idéologie marxiste) organisaient une marche de 3 000 km pour soutenir la proposition de loi déposée par un président néolibéral. Surréalisme mexicain... Fox avait accueilli cette initiative avec enthousiasme, avait mobilisé la police et l'armée pour assurer la sécurité des zapatistes durant leur périple, leur avait souhaité la bienvenue lors de leur arrivée à Mexico et avait redit qu'il était prêt à rencontrer Marcos. Leur entrée triomphale dans Mexico en présence d'invités venus du monde entier (dont José Bové, Danielle Mitterrand et Alain Touraine), conjuguée aux pressions de Fox, eurent finalement raison des réticences du Parlement : le 28 mars dernier, une délégation de rebelles (Marcos n'en faisait pas partie) fut autorisée à s'exprimer devant les représentants du peuple, et cela bien qu'ils aient refusé d'ôter leurs passe-montagnes !

Fox est habile, indéniablement, et il ne manque pas d'idées. Son pragmatisme est tout à fait neuf dans un Mexique depuis toujours accoutumé à la phraséologie révolutionnaire du PRI. En politique étrangère, il a des opinions bien arrêtées qui tranchent avec la diplomatie traditionnelle du pays, qu'il s'agisse de l'extradition, de la non-intervention dans les affaires intérieures des Etats, des relations avec les Etats-Unis ou avec les autres pays d'Amérique latine. En politique intérieure, il n'épouse pas les positions du parti dont il est issu et souhaite maintenir un niveau de dépenses publiques élevé, en particulier dans le domaine social et éducatif. Mais, dépourvu de majorité homogène, il va devoir composer avec un PAN souvent réactionnaire, un PRI aigri et néanmoins puissant et un PRD nostalgique de l'Etat-providence. A quelles alliances faut-il s'attendre, sur quels textes ou quels programmes ?

Les incertitudes de la période à venir sont donc nombreuses. L'équipe Fox a d'immenses chantiers à affronter. La réforme de la police, de la justice, du système éducatif, la lutte contre la corruption, sont des défis difficiles à relever. Sur le plan politique, des tensions vont inévitablement naître avec les Etats fédérés, qui restent en majorité gouvernés par le PRI. Quant aux relations avec les Etats-Unis, dominées par la question migratoire et celle du narco-trafic, elles seront sans doute compliquées, en dépit du climat de confiance qui règne entre les présidents des deux pays.

Depuis sa victoire, Fox a cherché à rassembler et non à exclure. Le Mexique est sans doute en train de vivre un tournant historique. En dépit des inconnues des prochains mois, le calme des marchés et la sérénité de la population depuis juillet dernier montrent que le changement d'équipe est désormais possible sans violence. La page de la révolution est bien définitivement tournée.

Georges Couffignal - Le président George W. Bush a réservé sa première visite officielle au Mexique. Une visite fort peu protocolaire, puisque les entretiens, très cordiaux, ont eu lieu dans votre rancho de Guanajuato. Y voyez-vous une sorte de reconnaissance internationale de votre pays ?

Vicente Fox - La politique extérieure du Mexique — qui, jusqu'à présent, s'est confondue avec celle du PRI — compte un certain nombre de réussites. Le Mexique s'est imposé comme un acteur diplomatique de premier plan, et sa voix est très écoutée au sein des organisations internationales comme dans les grands débats mondiaux. De plus, il a toujours veillé à maintenir vis-à-vis de l'extérieur une politique de non-intervention, ce dont je me félicite. Mais la diplomatie mexicaine comporte aussi des zones d'ombre : en échange de cette non-ingérence, nous exigions que personne n'intervienne dans nos affaires intérieures, que personne ne s'avise même de critiquer tel ou tel aspect discutable de l'ancien régime. Les manquements aux droits de l'homme, l'absence de démocratie interne, le présidentialisme absolu : tous ces sujets étaient tabous.
G. C. - Cela va-t-il changer ?
V. F. - Après 71 années d'un régime dominé par un parti unique, nous sommes, en effet, en train de réorienter notre politique étrangère. Nous voulons nous ouvrir vers l'extérieur et participer, jour après jour, à l'édification d'un monde nouveau. Nous voulons accroître l'autorité morale de notre pays afin de pouvoir juger les autres, et permettre aux autres de nous juger. C'est pourquoi nous voudrions occuper un siège en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Une telle charge comporte des risques et implique des responsabilités, mais nous sommes prêts à les assumer. Nous voulons faire partie des quelques nations qui comptent dans les décisions qui concernent le futur du monde. A la différence du gouvernement précédent, nous sommes favorables à la création de tribunaux internationaux pour connaître des crimes contre l'humanité, et cela dans n'importe quelle partie du monde. Rompant avec la pratique de nos prédécesseurs, nous avons commencé à extrader — lorsque notre droit le permet — les criminels qui ont trouvé refuge sur notre territoire, qu'il s'agisse de terroristes qui ont commis des attentats en Espagne, de narcotrafiquants réclamés par les États-Unis ou encore de tortionnaires, comme l'Argentin Cavallo que nous nous apprêtons à remettre à la justice espagnole (1). Je le répète : nous serons très exigeants en matière de respect des droits de l'homme, chez nous comme ailleurs. Avec l'arrivée de mon gouvernement au pouvoir, le Mexique naît à la démocratie. Et il veut se faire l'ardent défenseur et le promoteur de cette forme de régime partout dans le monde.
G. C. - Pendant très longtemps, la politique du Mexique vis-à-vis des États-Unis était faite de méfiance et de ressentiment. Avec la signature de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) en 1994, on a eu le sentiment qu'un rapprochement historique pouvait s'opérer. Comment vont évoluer vos relations avec les États-Unis ?
V. F. - Nous sommes unis aux …